Les Artistes et leurs ateliers vus par Philippe Dagen

Rencontrer, côtoyer puis visiter l’atelier, voire parvenir à faire parler un artiste, n’est pas un défi facile à relever, même pour un passionné, un collectionneur ou un historien de l’art. Il faut de l’entregent, de la curiosité, de la diplomatie, et un argument, un pied à glisser dans la porte avant qu’elle ne se referme. Critique d’art pour le principal quotidien français, Le Monde, facilite clairement la démarche… Depuis 1985, Philippe Dagen a donc roulé sa bosse ici et là, de la France aux États-Unis, d’Espagne en Allemagne, et toujours en gardant intact son dessein d’historien et en ne laissant jamais l’actualité imposer son diktat ; ainsi a-t-il offert à ses lecteurs de découvrir des artistes au-delà des générations et des écoles.

Voici réunis plus d’une soixantaine de portraits d’ateliers croisés avec des entretiens débridés : vous irez voir les dessins de Jean Olivier Hucleux qui habite un ancien garage à calèche d’un château Second Empire ; prendrez une coupe de champagne avec David Hockney qui tente d’y noyer son désarroi face à la manière dont les gens le regardent, le scrutent, lui posent mille questions idiotes au lieu de regarder les tableaux qui parlent d’eux-mêmes ; tenterez d’avoir une explication de Simon Hantaï qui a passé plus de quinze ans reclus dans son atelier, à Paris, ou à la campagne ; ne passerez plus à côté des sculptures de Gérard Garouste sans les voir ; tenterez de pénétrer l’atelier de Gloria Friedmann – en réalité il y en a deux – en Bourgogne tant il est dense et composé d’objets pour le moins étonnants, il faut dire que la jeune femme aime que l’œuvre dise quelque chose et que la personne en face reçoive quelque chose d’elle, ce en quoi vous ne serez pas déçu ; tout comme en vous confrontant aux toiles d’Errô, compositions complexes et terrible éclats des couleurs ; vous découvrirez la variation de L’Origine du monde que Vincent Corpet a peinte, à Marseille, peintre décalé et volontairement hors de l’Histoire ; ou croiserez l’incroyable Maurizio Cattelan – à qui on doit d’immondes statues, notamment celle de Jean-Paul II – qui se préoccupe plus de sa santé que de son œuvre, encore faut-il s’entendre sur la définition du mot en dehors du marché (qui l’a consacré avec Koons, Hirst et Murakami – la messe est dite !)…

On s’attardera donc plutôt sur l’entretien avec Gerhard Richter qui commente la grande rétrospective qui lui fut consacrée en 2008 à Baden-Baden (tableaux saturés d’allusion à la photographie des années 1960 qui  côtoient des abstractions gestuelles et des monochromes gris ou des portraits se jouant de paysages) ; ou bien encore avec Riopelle, le roi Lear de la peinture, qui évoque ses amitiés avec Sam Francis, Zao Wou-Ki ou Viera da Silva, d’authentiques peintres, qui nous offrent un accès à des mondes vertigineux.

Oui, l’art n’a ni frontière ni époque ni chapelle, n’en déplaise à Philippe Dagen qui oublie parfois de regarder objectivement derrière lui, vers ces XVIII et XIXe siècles qui nous ont donné tant de bonheur… Ainsi, ces chroniques artistiques se lisent-elles avec gourmandise, nous libérant un peu d’espace dans cet univers de l’intime chez l’artiste, foyer de toutes les folies, de toutes les audaces, pourvu que l’on possède l’ivresse dès que le flacon s’ouvre…

François Xavier

Philippe Dagen, Artistes et ateliers, Gallimard, coll. "Témoins de l’art", octobre 2016, 400 p. – 28,00 euros

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