La bande du conservatoire, Belmondo, Marielle, Rochefort et les autres

Pour la première fois de ma (trop) longue carrière, je vais pratiquer l’autopromotion. Je sais ça ne se fait pas, ce n’est pas moral ni déontologique. Tant pis, je prends le risque. Après tout, je ne force personne à lire les lignes qui suivent. Pas plus que je ne force les gens à aller acheter mon livre, quoique mon banquier en serait ravi.


Conservant dans les tréfonds de mon être un semblant de moralité pimenté de modestie, je ne vais pas crier au chef d’œuvre, au livre incontournable ni à la réussite totale. Même si je le pense. Pourtant d’autres le firent ou faillirent le faire avant moi. Ainsi le sieur Michel Audiard au moment de la sortie de Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages : « J’aimerais dire tout le bien que je pense du scénario, des acteurs et de la réalisation. Mais, m’étant farci le scénario, les dialogues et la mise en scène, si j’écrivais la critique, Robert Chazal [critique de l’époque] verrait sans doute là une tendance à la mégalomanie. Dommage tout de même. »


Par prudence, pour ne pas m’attirer railleries et coups de bâton, je vais me contenter de parler du contenu de mon dernier opus. De quoi ça cause ?


Ça cause d’un lieu, le Conservatoire National d’Art Dramatique considéré, alors, comme la plus grande école de formation des acteurs. Un peu ce que fut Saint-Cyr pour les militaires, le casoar en moins. Pour entrer dans cette école il fallait passer un concours à côté duquel les bazars de la Star Ac et de The Voice font figure de recréations enfantines.


Ça cause d’une époque, de 1950 à 1956. Donc, les lendemains de guerre. Qu’ipso facto tous les élèves avaient connue. A des degrés de douleurs divers. Mais tous étaient unanimes pour clamer « plus jamais ça ! » et se lancer dans une course effrénée à la joie de vivre. Ordres, carcans et diktats n’étaient plus trop leurs trucs.


Ça cause d’une bande de six amis, Belmondo, Cremer, Marielle, Rich, Rochefort, Vernier, Beaune. Six jeunes messieurs venus d’horizons très différents qui retrouvèrent dans cette école et s’unirent à la colle de l’amitié. Six types bourrés de talent et d’humour qui filèrent de grand coups de pieds dans la fourmilière sans la faire exploser.


Six gars si amis que, quand Belmondo fêta ses vingt ans de carrière, ils se fendirent d’une page dans Le Film Français qu’ils signèrent « les anciens de la cantine de l’Opéra », référence à l’endroit où ils déjeunaient chaque midi. Car, et je peux en témoigner pour l’avoir vu, dès que l’on met plusieurs membres de la bande en présence, leur premier sujet de conversation reste le Conservatoire. Ils s’échangent des souvenirs et des étonnements (« Si on nous avait dit, à l’époque, qu’on en arriverait là… »)


Calmos, 1976

Ça cause aussi de plein d’autres gens, élèves, professeurs, acteurs de la Comédie-Française : Louis Jouvet, Pierre Fresnay, Gérard Philipe, Jean Marais, Robert Hirsch, Claude Brasseur, Annie Girardot, Françoise Fabian, Jeanne Moreau et une pléiade de personnalités de la même trempe. Que du beau monde, of course.


L’idée globale est de raconter les aventures et mésaventures de jeunes loups qui, confrontés à un système scolaire assez contraignant, vont ruer dans les brancards et faire virevolter un vent frais dans une école jusque-là poussiéreuse. Pas de révolution ni même de rébellion mais une succession d’affrontements qui va provoquer des étincelles.


Comme dans tout parcours humain il y a du rire et des larmes, car les six membres de la bande se sont pris de sévères déconvenues. Heureusement que l’amitié les soudait sinon ils auraient été perdus corps et bien. Il y a aussi de l’amour puisque chacun d’eux trouva l’âme sœur au cours de cette période.


Voilà, en gros. Pour les détails, je ne peux que vous conseiller de vous référer au livre en vente dans toutes les librairies dignes de ce nom.


Bruno Cremer, adjudant Willsdorf dans "317e Section", le film de Pierre Schoendoerffer (1965)



Par contre, je peux brièvement vous parler de cuisine interne. Pas vous ennuyer avec la façon de construire ce genre d’ouvrage mais vous dévoiler d’où vient l’idée. De moi, mais pas tout à fait. C’est Albert Dupontel qui ne l’a soufflée au cours d’un entretien : « J’aurais aimé être une petite souris à l’époque du Conservatoire de Belmondo et ses potes ». Ça m’a frappé parce que moi aussi j’avais envie d’être cette petite souris, de les observer du temps de leur prime jeunesse au moment où leurs talents s’épanouissaient, de les écouter à la fois jouer sur scène et plaisanter sans arrêt, de partager avec eux leurs joies et leurs peines. Cette envie je l’ai un peu concrétisée à travers mon enquête et les nombreux témoignages que j’ai recueillis. Maintenant que c’est terminé pour moi, je souhaite la partager avec le lecteur pour qu’à son tour il devienne une petite souris et qu’il se régale des fromages offerts par cette bande et tous ceux qui ont évolué autour d’elle.


Mon autopromotion se termine ici. Je n’ai plus grand-chose à ajouter. Les qualificatifs laudateurs, je le laisse à mes confrères et au public. Personnellement je me suis bien amusé et j’en profite pour remercier une nouvelle fois ceux qui m’ont accompagné dans ce parcours. Certains, beaucoup trop, sont décédés. Ainsi va la vie. Je ne les oublie pas.


Désolé de terminer sur cette note tristounette mais il serait illusoire de croire qu’un livre de ce type se fait seul. La solitude c’est bon pour des romans, des essais politiques et des introspections fumeuses. Pas quand vous racontez des histoires d’amitié. Alors c’est vrai que pendant des mois j’ai un peu eu l’impression de faire partie du Conservatoire et d’être un compagnon de route de cette bande. Ça fait du bien.



Philippe Durant, La bande du conservatoireSonatine, février 2013, 287 pages, 18 euros

1 commentaire

Ce livre se lit comme un roman, plutôt comme le monologue d'un passionné qui truffe chacun de ses propos d'anecdotes rares et précieuses. Sa connaissance du cinéma est profonde et son amour tout autant, qui passe dans cette somme d'information, le plus souvent puisées directement auprès des intéressés qu'il a rencontré comme journaliste spécialisé. 

La dernière photo connue réunissant Marielle, Rochefort, Belmondo et Cremer, c'était aux obsèques de ce dernier. Ceux qui ne veulent pas attendre pour les revoir n'ont qu'à lire ce livre.