Évoquer l'art autrement : le pari de Philippe Forest

Et si tout n’était que mouvement, la vie un voyage d’un point à un autre, et l’art une manière d’en évoquer les turbulences, d’en souligner les plaisirs, de dénoncer les violences de cette transhumance si chère à Nietzsche. Pour libérer l’esprit il faut bouger le corps : Celui qui est parvenu, dans une certaine mesure à la liberté de la raison n’a pas le droit de se sentir sur terre autrement qu’en voyageur.
Soit, mais vers quelles contrées laisser voguer le navire, et doit-on lui imposer un cap, ou non ? À l’instar de Georges Didi-Huberman, l’approche de Philippe Forest se veut décalée des grands discours pontifiants des docteurs en histoire de l’art et autres critiques spécialisés qui truffent leurs démonstrations d’éléments perturbateurs qui ne doivent souvent leur présence qu’à l’aspect ronflant qu’il procure au narrateur. Aussi nous voici, ici, embarqués dans une aventure candide et honnête avec le seul souffle de l’esprit de découverte et la volonté de partager, d’inciter à.

Renoncez à toute destination et offrez vos pupilles à la découverte de ce livre puissant qui va vous emporter sur des horizons insoupçonnés… Invité à écrire dans Art Press, Philippe Forest s’est laissé tenter par un glissement sémantique qui a vu ses chroniques littéraires s’orienter vers l’art. Une première demande pour un catalogue – il y a vingt ans – et la boule de neige se construisit au fil du temps, toujours avec humilité et simplicité, rendant ainsi ses articles fluides et laissant filtrer un réel plaisir de lecture.
S’appuyant sur la philosophie ou la poésie, l’histoire ou la littérature, Philippe Forest cherche ce nulle part nietzschéen qui est en chacun de nous mais aussi dans l’émotion du regardeur face à l’œuvre d’art. D’où cette idée de voyager aussi à la verticale, dans un aplomb qui nous place sous le soleil exactement, si magnifiquement chanté par Anna Karina, ce ciel où tout semble possible à commencer par permettre à l’œuvre de voyager, aussi, physiquement – chez un collectionneur, dans un musée, dans le paysage urbain – et spirituellement – en ouvrant des perspectives différentes à chaque personne qui la contemple.

Comme me le disait souvent Kijno, l’art n’est pas, surtout pas, une chose sérieuse réservée à une élite ; lui qui refusait les expositions rive gauche pour aller à St Ouen ou ailleurs à la rencontre de tous les publics et de préférence les ouvriers – il me rapporta un jour l’extase dans les yeux d’un homme qui lui avoua avoir hésité à venir car il pensait ne pas y avoir droit –, Philippe Forest incite ses pairs à s’ouvrir au commentaire artistique afin de briser les derniers cercles qui enferme la peinture, notamment, dans un effet de classe qui ne doit plus demeurer aujourd’hui. Il faut en parler, ne pas douter, faire son choix personnel, se lancer sans trop de connaissances, oser le paradoxe, brouiller les cartes, raconter une histoire…
Alors l’incitation sera efficace et l’art pénètrera d’autres niveaux sociaux et offrira certainement plus de plaisir et de spiritualité qu’une série Netflix.

 

François Xavier

 

Philippe Forest, Éloge de l’aplomb et autres textes sur l’art et la peinture, coll. Art et Artistes, Gallimard, novembre 2020, 216 p.-, 22,50 €

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