Philippe Geluck dit "oui" à sa question "Peut-on rire de tout ?"

Loin de se poser en philosophe comme la référence sur la question du rire qu’est Bergson — qu’il élude dès l’introduction comme un texte hors de son propos même si bien sûr c’est une posture de se prétendre idiot pour laisser à ses propos plus intelligent qu’il n’y paraît de prime abord le moyen de toucher ses lecteurs — ou le questionnement réellement philosophique sur cette question de savoir si l’on peut rire de tout  comme le fait Gilles Vervish, Philippe Geluk conserve son masque de chat et répond d’emblée « oui » à toutes les postures possibles du peut-on rire de tout.  Deux hypothèses pour lire ce livre, donc : le lire pour l’air qu’il a — une farce mais pas que — ou un le lire pour l’air qu’il veut se donner — une réflexion mais pas que. Ni chèvre ni choux, ni vraiment tout à fait toujours drôle ni vraiment une réflexion sur, mais plutôt une série de « peut-on  dire de… » et la mise en scène d’un délire verbal très belgico-félin.

 

Répondant donc à un certains nombre de « peut-on rire de », des pauvres, des catholiques, des handicapés, des musulmans, Geluk ne propose pas une analyse mais une discussion très libre comme un petit délire verbal ou le n'importe quoi le plus maîtrisé qui fait sa marque de fabrique.

 

Geluk adopte la philosophie de l’irrespect absolu et du tout est sujet à rire partant du principe que « [… ] rien n’a vraiment d’importance, rions de tout car, un jour ou l’autre, on va tous crever ». A ce compte, on peut aussi bien tout brûler, violer, voler, et les valeurs morales sont nulles et non avenues. Qu’il s’en prenne aux personnes avec lesquelles ou/et desquelles on ne peut pas rire (les intégristes de tout poil notamment, qui est une de ses cibles) pour dénoncer leur manque criant d’autodérision et, disons, de légèreté, et c’est souvent assez bien vu. 


Mais à rire de tout n’importe comment à la fois on diminue la valeur réelle du rire et on discrédite un peu son champ d’action et son pouvoir. Le rire n’est plus alors libérateur, justement contre les fâcheux, mais juste la blague, c'est parfois un peu court.

 

Geluk, admirable dans la farce en une case, trouve peut-être dans ces quelques pages la limite de son talent. Pris cependant tel qu’il est, un livre non-sérieux-mais-qui-peut-faire-réfléchir-un-peu-quand-même, une discussion non loin du comptoir (le ton est celui d'une discussion entre potes) propose quelques belles trouvailles humoristiques et quelques vraies questions. En revanche, à sa façon parfois de ne pas vraiment répondre ou de répondre par un pied-de-nez, Geluk met en évidence de vraies difficultés sociétales avec certains « groupes humains » et la possibilité d’en rire : tous les offensés de la première heure qui ont l'arme du procès prête à être dégainée sitôt la moindre petite plaisanterie à leur sujet. Et ils sont nombreux, et de tous les bords !

 

Il y a encore quelques efforts à faire pour que tout le monde a un sens de l’humour digne du chat, qui le premier se moque de lui. Attendons de voir combien de procès récoltera cet ouvrage qui frôle souvent l'outrage, mais que ne passerait-on à un Chat de si beau poil !

 

 

Loïc Di Stefano

 

Philippe Geluck, Peut-on rire de tout ?, Jean-Claude Lattès, septembre 2013, 150 pages, 10 eur

6 commentaires

Excellent commentaire. Il faudrait que je lise ce bouquin.
C'est que le problème de fond "peut on rire de tout" reste  intéressant, même s'il a été à mon avis réglé définitivement par Coluche, en particulier parceque  l'humour actuel n'est plus celui de Fernand Raynaud : il est devenu transgénique, mariage de haine et de plaisir, de défoulement ludique et de désespoir.

L'autodérision et l'aptitude à rire de soi même, sont  incontestablement des preuves d'intelligence, car elles montrent qu'on est capable de se remettre en question, secret d'une progression humaine réussie . Ce qui prouve, s'il en était besoin, que Geluck est intelligent, ce qui était évident par ailleurs à  lire ses bulles.

Par contre, vouloir à toute force que tout le monde soit capable de l'imiter reste au mieux un voeu pieux, au pire une stupidité :
Un voeu pieux, car se foutre des autres, tout le monde y arrive, se moquer de soi, pas grand monde. C'est humain.
Une stupidité, car dénoncer -avec courage, certes - le "manque criant d’autodérision et, disons, de légèreté" des intégristes de tout poil est inutile. Il est illusoire de penser que ces gens-là puissent changer . Ces deux qualités sont totalement incompatibles avec la certitude de détenir une vérité, donc avec le militantisme ou le fanatisme. Ces gens-là ne rient pas, monsieur, ils éructent.

Plus globalement,  je ne saisis pas bien cette mystique du Rire, qui voudrait absolument que l'on puisse rire de tout et de tous, et qui présente même cela comme un aboutissement, quasiment comme le secret du bonheur.
La transgression, jubilatoire, serait un mode de vie viable, quasiment une éthique de vie ;  mordre les autres serait sain, libératoire et quasiment démocratique. Ah bon?  Mais d'où sortez vous ce truc là, les gars?
On voit bien la naissance de cette ineptie posturale dans les textes des ténors "officiels" du rire, les Guillon , Bedos etc.. qui se prennent depuis des années pour les défenseurs du Bien contre le Mal, et démolissent systématiquement tout le monde, même leurs amis, avec une méchanceté érigée en style litteraire.
Les chiens ne faisant pas des chats, on le voit désormais aussi dans les saillies des innombrables apprentis rigolos qui passent sur "rires et chansons": l'ironie a remplacé l'humour,  l'irrespect tient lieu de légitimité, le mépris pour les institutions et pour ceux qui ne pensent pas pareil s'affiche sans retenue, et le raccourci clavier tient lieu d'intelligence.
 
Geluck est d'une autre trempe (la finesse...) ,  mais il se heurte comme les autres,  au mur, non de la morale,  bien discréditée et inopérante ces temps ci, mais tout simplement au mur de la TROUILLE.
Comme tous ses congénères humoristes, le Chat a prosaïquement les foies, les flubes, la pétoche de s'en prendre une, alors il mesure évidemment ses coups.
Tout le monde sait qu'il est beaucoup plus facile de se moquer des chirurgiens dentistes (si on a de bonnes dents, évidemment), des inuits  ou du pape que de se moquer des gays, des journalistes, ou des musulmans : les risques de se faire insulter, blacklister,  ou casser la figure sont  bien moins grands.
Ce qui revient à répondre non à la question initiale, tout en faisant semblant de répondre oui. Mais bon, faut pas que ça nous empêche pas de nous fendre la poire, tout ça...

l'autodérision est la moins partagée des qualités. Un Laurent Ruquier, qui ricane, ne supporte rien contre lui (pourquoi Philippe Bouvard s'est-il sauvé en courant lui qui, comme Stéphane Bern, ne craint pas les quolibets ?)

peut-être un super article ; peu m'en chaut... mais faudrait arrêter de censurer sur ce site, supprimer ou bloquer des commentaires  ! "Je" parle au pluriel ! Merci grand et by the way, pensez à supprimer ce qui est véritablement polluant comme les comments de collégiens qui pillent  certains vrai-faux résumés... bon we à tous!

anonymous

Chère Virginie,

Désolé, mais je ne vois pas de quelles suppressions vous parlez. C'est moi qui m'occupe de modérer et, à ma connaissance, je n'ai rien supprimé. Je peux même vous donner mes codes pour que vous vérifiez par vous-même. 
Et pour ce qui est des résumés, si vous saviez le nombre commentaires de potaches que je supprime chaque jour, vous serriez effarée.
Maintenant, si un de vos commentaire a sauté (des bugs peuvent toujours arriver), n'hésitez pas à me le dire.
Merci pour votre fidélité.
Joseph Vebret

Virginie parlait de ce post sur un article de Loïc à propos de La Nausée :


anonymous il y a 24 minutes

J'avais précédemment signalé ici que cet article est truffé d'erreurs. Je les avais relevées et corrigées assez minutieusement. Malheureusement mon commentaire, tout à fait respectueux, a disparu. Préfère-t-on dans ce "salon" les écrits de ceux qui n'ont pas lu les livres dont ils parlent?

merci de cette vigilance FX, l'article a été retiré pour être corrigé, anonymous en a été informé


ceci dit, cette discussion ici est inutile