La vie éternelle sera numérique

Chaque année au mois de mai, Paul se trouve face à une forêt de bougies d’anniversaire : les siennes, celles de ses parents et celles de leur mort choisie à tous deux. La période est lourde mais il y survit chaque fois, notant juste selon son humeur joyeuse ou mélancolique : une de plus ou une de moins, se référant au nombre d’ans qui lui reste à vivre.
Pourtant en ce nouveau mois de Marie, il est terrassé par une crise cardiaque. Il en réchappe, grâce à Irène, sa femme qui a donné l’alerte.

L’homme, bientôt augmenté d’un pacemaker réapprend à vivre alors que le sort le frappe une nouvelle fois : Irène disparaît dans un accident de voiture.
Le psychanalyste et écrivain, spécialiste du deuil qui allait de congrès en colloques sur le sujet est dévasté et son vécu tant littéraire que personnel ne lui est d’aucun secours. Lui, qui avait en compagnie de sa femme passé sa vie « en compagnie de fantômes » est face à la mort de l’être aimé, aussi démuni que le premier quidam venu. Douleur et culpabilité s’emparent de tout son être. Seul, un petit chat gris aux yeux d’or apparu un beau matin de nulle part le console un peu.
C’est alors qu’il décide de recontacter un étrange personnage, Jacob Shade. Lors d’une de ses conférences celui-ci avait porté la contradiction en  lui affirmant qu’il était possible, via Ternity sa société, de reprendre le dialogue avec les disparus dans un véritable échange.
Perplexe, mais désespéré il accepte le marché et fournit à Shade vidéos et enregistrements de la défunte, ainsi que l’accès à tous ses outils de communication, et un gros chèque.

La prestation  de Ternity est  en apparence impeccable. Irène revit sous ses yeux, le contact se fait, elle répond parfaitement aux questions posées. L’illusion est presque parfaite. Jusqu’au jour où le narrateur s’apercevra de la nature de la relation virtuelle, de l’échange artificiel.

Dans ce nouveau roman, Philippe Grimbert confronte avec brio et émotion, traumatismes d’enfance, deuils,  secrets, mythe d’Orphée à l’intelligence artificielle.

Depuis toujours l’homme a voulu correspondre avec les morts, par l’intermédiaire des religions, des chamanes, des tables tournantes ou autres drogues. Aujourd’hui internet n’est pas loin de le permettre et l’auteur s’engouffre dans cette promesse d’éternité. L’effet est vertigineux. Le lecteur pris entre l’espoir des uns de vivre éternellement, grâce à des piles ou des organes tout neufs ; celui des autres de ressusciter les morts entrevoit les vertiges de demain et les dérives qui les accompagnent immanquablement.

Les morts ne nous aiment plus questionne un avenir dans lequel, faute d’être résolue, la question du dialogue avec l’au-delà sera plus pérenne que jamais.


Brigit Bontour

 

Philippe Grimbert, Les morts ne nous aiment plus, Grasset, mai 2021, 192p.-, 18 euros

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