Philippe Muray, La Gloire de Rubens : Une célébration coruscante

Muray revient. Toujours aussi flamboyant, percutant. Le père de l'Homo festivus, des Exorcismes spirituels, disparu en 2006, faisait cruellement défaut à notre temps aseptisé. Les Belles Lettres, à qui l'on doit déjà la réédition en 2010, sous le titre laconique d'Essais, de textes écrits dans la dernière période de sa vie, réitère aujourd'hui avec La Gloire de Rubens. Un essai publié chez Grasset en 1991. Contemporain de L'Empire du Bien, l'un des livres qui le firent connaître et qui eut jusqu'ici le plus grand nombre d'éditions successives.

 

Pourquoi Muray se mue-t-il en critique d'art ? Et pourquoi s'intéresse-t-il à Rubens, au lieu de se pencher sur l'oeuvre d'un contemporain ? Les réponses apparaissent très vite au fil de la lecture : sous l'essayiste, pointe le pamphlétaire. Comme la queue du loup dépasse sous la robe de Mère-Grand. On pourrait même affirmer, sans risque de se tromper beaucoup, que le propos de l'auteur est, en réalité, autant de centrer son ouvrage sur le peintre flamand que, par un contrepoint dans lequel il est expert, de vilipender, par ricochet, notre époque. Ainsi procède-t-il par va-et-vient incessants. Par comparaisons plus ou moins allusives. Elles tournent, il va sans dire, à l'avantage de celui en qui il n'hésite pas à voir "toute la peinture".

 

Il y a sans doute, dans son choix, une seconde raison qu'il explicite dans son Journal du 1er mars 1991 : "Je ne parle d'art que parce que j'ai réussi à identifier l'art aux femmes et les femmes à l'art (...). Et, de même que l'"idéal féminin" c'est toujours une fille aussi belle qu'intelligente, de même, en art, l'idéal c'est de la peinture aussi belle qu'intelligente."

 

Qu'il soit allé chercher, pour illustrer ses dires, un Flamand du dix-septième siècle prouve, d'une certaine manière, et "en creux", qu'aucun artiste actuel ne lui fournissait d'exemple probant. Quant au choix particulier de Rubens, il coule de source. Nul, sans doute, mieux que ce dernier n'a exalté le corps de la femme. Nul n'a su traduire dans sa peinture l'érotisme éclatant, la volupté, le plaisir épanoui, avec autant de grâce et de naturel. Rien de "conceptuel" chez lui. Raison pour laquelle, sans doute, il est, aujourd'hui, méconnu. Voire totalement oublié.

 

Philippe Muray s'attache donc, dans son étude, à exaucer le souhait de Baudelaire : "transformer la volupté en connaissance". Il s'y emploie avec tout le sérieux requis. Sa documentation, sur l'époque, sur le peintre lui-même, sur sa vie et sa place dans l'histoire de l'art, sur la réception de son oeuvre par la postérité, est impressionnante. Tout cela est passé au crible avec une alacrité qui est la marque propre de l'écrivain. Jusqu'à l'analyse des oeuvres qui révèle un critique des plus pertinents - les Vénus, les satyres, les Adonis, Les Trois Grâces, Le Jardin de l'Amour, mais aussi la Descente de croix de la cathédrale d'Anvers, ou Les Conséquences de la guerre, l'un des chefs-d'oeuvre du Palais Pitti, à Florence.

 

Muray se déclare "ébloui" par le réalisme d'un artiste grâce à qui la peinture se fait chair. "Les femmes peintes de Rubens seraient donc assez "réelles" pour que chacun se demande s'il a envie, ou pas, de les baiser ? Avouez que c'est déjà quelque chose que vous ne rencontrez pas tous les jours, comme réaction, dans l'histoire de l'art !" Un réalisme inimaginable à notre époque où triomphe, sous ses formes les plus hypocrites, la pruderie. "Rubens aujourd'hui ? Vivant et peignant ça ? (...) Chez nous ? Dans l'Europe des droits de l'Homme et de la Femme ? Le Grand Marché Sacré aux trois cent vingt millions de consommateurs ? Mais ce serait un beau scandale ! Je vous assure ! (...) Une députée mère de trois enfants, après avoir protesté que loin d'elle l'idée de rétablir un quelconque ordre moral abhorré, lancerait un cri d'alarme en pleine Assemblée."

 

Telle est la verve d'un auteur dont on s'avisera, son temps de purgatoire achevé (et cette réédition devrait activer l'échéance), qu'il fut l'un des plus brillants de son époque. L'un des plus clairvoyants aussi. De la race des bretteurs qui font de l'insolence une vertu et de la légèreté, mais une légèreté que l'on pourrait dire "profonde" si l'attelage n'était incongru, leur marque distinctive.

 

Jacques Aboucaya

 

Philippe Muray, La Gloire de Rubens, Éditions Les Belles Lettres, avril 2013, 248 pages, illustrations, bibliographie, 23 €.

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