Sollers : Mouvement & Centre… quand le journal est un roman comme les autres

Il va sans dire que Philippe Sollers aime à brouiller les pistes en mélangeant les genres, en glissant le narrateur S. entre les pages, en invitant Chateaubriand, Sade et Casanova à croiser le fer, se jouant depuis les derniers opus de la mise en page, livrant une suite de courts paragraphes largement espacés, ce qui donne l’aération d’une longue respiration entre chaque, à l’instar, justement, d’un journal que l’on remplit à fantaisie sans quête de rythme ou de logique…
Mais ne nous y trompons pas.

D’ailleurs, Mouvement, repris en Folio, laisse le doute planer, n’affichant aucune information sous le titre quand Centre précise que c’est un roman, et ajoute à la confusion en classifiant Mouvement roman également dans ses pages récapitulatives en fin de volume. Mais au fond, quand on ouvre un livre de Sollers, n’est-ce pas ce que nous recherchons, aussi, cette folie créatrice, cet égarement prononcé dans une trame du récit qui n’est pas normative, prononcée, affirmée, mais ponctuée de digressions, de citations, d’emportements, de jugements, de cris, de joie et de fureur ?

Paradoxalement Mouvement évoque l’immobilité, le déplacement interne, infime partie d’un tout, ce cerveau récalcitrant qui tire de son sommeil le narrateur – Philippe Sollers ? – soit à trois heures du matin, soit à cinq heures ; détail d’importance car selon le cas, le voyage cérébral sera différent : trois heure célèbre le pire quand cinq heure chante la poésie. Jacques Dutronc n’est pas loin, il est cinq heures, Paris s’éveille…
Prétexte que l’écrivain use donc pour soigner ses attaques, préciser ses envies, saillir ses proies dans l’allégresse d’un tout qui n’est plus un modèle de société mais une utopie bafouée par l’entreprise avortée des Hommes perdus. Platon n’est pas loin avec son jeu des ombres au fond d’une célèbre grotte.

Par un jeu de balancier, Centre revient un peu plus dans le concert du roman classique avec un personnage nucléaire, noyau brûlant autour duquel tourne le narrateur qui ne s’épargne aucun compliment – mais n’est-on jamais mieux servi que par soi-même ? Voilà Nora, psychanalyste détachée dont Julia Kristeva n’aura pas à rougir, qui applique à la lettre la maxime libertaire, jouissant de son amant chez lui, ayant expédié mari et enfants dans les anneaux de Saturne, la voilà entière dans l’écoute. Cela tombe bien Philippe Sollers – le narrateur ? – a encore quelques remarques à formuler… sur fond de Freud et Lacan, fantômes inspirant qui tournent au-dessus du volcan: ce livre donne chaud !
 

Constat d’impuissance : le narrateur aurait voulu demeurer un enfant, vierge de toute perversion – entendons-nous bien, le sexe n’est en rien pervers, y compris l’inceste consentie avec sa sœur ; Sollers toujours ? – mais les adultes lui ont confisqué sa mémoire, l’ont transformé, imposant le devoir scolaire. Il y a urgence, il faut sauver sa peau coûte que coûte. Manipulation, divertissement, anéantissement de toute volonté, création amorphe, mouvement de masse… Dans tout ce fatras, Nora s’inquiète encore de l’existence d’une critique littéraire passionnée, car les livres seuls ont le pouvoir de nous sauver, confirme le narrateur qui s’amuse de cette confusion marchande autour de l’objet littéraire.

Dytique possible, ces deux éléments disparates forment bien une drôle de figure de proue pour le navire amiral Sollers qui s’agrège au fil du temps d’esquilles aspirées au gré des vents marins, lui l’homme de l’Atlantique. Mais derrière le mastodonte qui pèse tout de même plus de soixante titres, demeure tapie au fond de son âme l’authentique aspiration, mêlée de tendresse et de passion charnelle, ce charme qui fend l’Homme, lui ouvre le visage quand il parvient à ouvrir les yeux en marchant dans son propre enfer. Un trait de caractère fort rare, une démarche particulière qui exige abnégation et honnêteté mais si l’on affronte cela, on en revient porteur d’une gaieté spéciale, teintée d’un grand calme…
N’avez-vous jamais constaté les yeux pétillants de gaité et la sérénité de Philippe Sollers ?

François Xavier

Philippe Sollers, Centre, Gallimard, mars 2018, 120 p. – 12,50 €
Philippe Sollers, Mouvement, Folio n°6457, mars 2018, 272 p. – 7,25 €

Première publication : 2016

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