Sollers en 007 des Lettres

On ne présente plus Philippe Sollers, il sait très bien le faire lui-même. La plupart de ses livres ne parlent-ils pas de lui ? S. n’est-il pas son double-narratif ? D’ailleurs, l’on n’écrit jamais aussi bien que ce que l’on connaît parfaitement ; donc cette forme d’autofiction qui ne dit pas son nom, ces souvenirs enjolivés, ces digressions souvent plagiées à Chateaubriand ou Flaubert, ces amours insulaire – Venise – et extra-conjugaux ont fait de Sollers une sorte de Gainsbarre des Lettres, un pitre et un érudit, un électron libre qui va et vient au gré de ses humeurs au sein de la maison Gallimard, publiant ici et là, pilotant sa propre collection, bref, un incontournable.
Tout comme 007. Rien ne peut le déstabiliser, pas la moindre polémique pour l’abattre, gilet par-tweets incendiaires sur le dos, l’agent S. sillonne la pensée réactionnaire pour remettre les idées à leur juste place, se contrefichant royalement de ce que l’on peut en penser. Et ô combien a-t-il raison ! Seule manière d’avancer dans ce monde où l’idiotie est vénérée et la victimisation encensée.  

Gentilhomme débonnaire, Philippe Sollers ne le fut pas d’emblée. Né Philippe Joyaux dans un Bordeaux de contes de fées, il perçu très vite la cruauté du monde par le prisme de la Seconde Guerre mondiale et trouva tout naturellement refuge dans les livres. Le virus se développa et l’on connaît la suite. Vraiment ? Pas certain, d’ailleurs ce livre de mémoires qui est aussi une biographie, remet en perspective certains événements – avec toujours cette modestie si particulière, ce regard subjectif sur une vie étonnante menée par un enfant surdoué, en géographie, en latin, etc. 

Ouvert, je dirais pour ma part : Philippe Sollers fut un enfant ouvert – et le restera toute sa vie. Comprenant très tôt que de la nature viendra l’illumination, et il en fera sa religion fondamentale tout en explorant la bibliothèque familiale. Le voilà donc Sollers au détour d’une rangée, Sollers qui veut dire Ulysse, l’homme aux mille tours, l’homme tout entier art. Le voilà habité puis choisi par Aphrodite, un fait pour le moins singulier : Et dans le domaine de l’exploration du corps, des sensations, de la sensualité dans toutes ses dimensions, je crois pouvoir dire que je m’en suis occupé
Et voilà notre héraut littéraire confronté à ses contradictions, mais quel poète ne le fut jamais ? Car en tant qu’agent secret, le voilà qui se dissimule, se met à l’écart. À l’écart toujours, toujours. Pleinement engagé, pleinement à l’écart

Miroirs de tous les Sollers, ce récit est une cascade d’incidents qui maillèrent le destin de l’écrivain. Orné de quelques clichés noir et blanc, ce livre-témoin résume presque un siècle de notre culture kaléidoscopique qui mérite bien un hommage face à la cancel culture qui tente en vain de la nier…  

 

Rodolphe 

 

Philippe Sollers, Agent secret, Mercure de France, coll. Traits et portraits, mars 2021, 200 p.-, 18 €

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