Philippe Thireau : terreurs intimes

Philippe Thireau est comme son Pierre de Cut : un zigomart bien étrange dont les pièces saisissent. En celle-ci, en un village cauchois non loin des falaises, les souvenirs de la guerre et les actes de barbarie ne sont pas oubliés. Les gamins tentent de se tirer de la mémoire collective en chantant des comptines.
Néanmoins Pierre ne peut se défendre d'une mère abusive; Elle s'acharne sur la sœur du premier. La génitrice se sert de lui pour qu'il efface de sa mémoire un tel fruit de ses entrailles (on comprendra pourquoi). C'est aussi drôle que tragique. Et les mots tendres ne sont là que pour cacher ce qui se passe dans une sorte de fuite éperdue.

L'auteur dramatique opère de fallacieux écrans à des asservissements. Tout reste en déshérence et en destruction d'existences bafouées ou profanées de diverses manières. Dans Mortelle Faveur et J'entends les chiens le ton se veut moins fallacieusement enfantin. Thireau pousse même sa langue jusqu'au lyrisme. Mais qu'on y prenne garde : ce lyrisme (ironisé) gronde et saccage car la peur reste prégnante.

La "comédie" cache dans chacune des trois pièces beaucoup de douleurs intestines. Les pirouettes du langage tentent de les masquer. Nous sommes parfois près de l'obscénité ou du meurtre. Et un tel théâtre ouvre l'inconscient dans trois opérations au noir d'où jaillissent des terreurs intimes.
La dramaturgie crée sous couvert de débauche (verbale ou situationnelle) des pistes insuffisantes pour tout atterrissage digne de ce nom. Les perspectives ne sont guère propices à l'allégresse : Je ne vois rien, la nuit est partout où le jour prétend être, rappelle Oort le héros qui soliloque en s'invitant – dit-il – dans une sorte de pièce.

Elle tient la route bien plus que son pauvre cavalier narrateur. Faute de mieux il se pose des "questions idiotes" qui n'abolissent en rien celles que le lecteur ou le spectateur se pose. Chaque mot est là pour sortir par des voix obsédantes qui s'élèvent face à d'autres – off ou bien présentes – qui martèlent des agressivités. Pour éviter de se noyer de tristesse il convient donc de parler ou tenter de le faire.
L'écriture dramatique  classique capote superbement là où des fragments d’histoires sont tout ce qui retient encore les héros – du moins ce qu’il en reste –  rivés à ce dont ils ne peuvent échapper. Surgit l’apparition d'un corpus sonore qui représente l'ouverture sur une signification déconcertante. L'Imaginaire devient le contraire de ce que Baudelaire en son article sur Pierre Dupont (in L'Art Romantique) écrivait puisqu’il ne s'agit plus de :contredire le fait de ne plus être mais au contraire de le signifier.
 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Philippe Thireau, Cut et Mortelle Faveur suivi de J'entends les chiens, Z4 éditions, juin 2017, 80 et 82 p., 11 euros et 9,50 euros

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