"Je vais mourir, donnez-moi un sourire"...

                   

Si la mort est une question scientifiquement non résolue, elle est assurément objet de perplexité et d’émotion – un bel objet littéraire et métaphysique, en somme, qui ouvre aux vivants un « travail considérable de pensée »…

 

Vieillir et mourir, est-ce vraiment indispensable ? Vivre et vieillir sont-ils mortels ? D’abord, pourquoi meurt-on ? Depuis le commencement, le caractère inéluctable voire nécessaire de la disparition des individus, selon le mécanisme d’une implacable horloge cosmique, n’a échappé à personne : l’extinction vient du dedans dans le meilleur des cas – parfois ou trop souvent du dehors quand rien ne va, lorsque des agitateurs de haine « réussissent » à déclencher des guerres...

Damien Le Guay, président du Comité national d’éthique du funéraire, et le journaliste Jean-Philippe de Tonnac ont recueilli les témoignages de sept personnalités, de l’écrivain Amélie Nothomb à l’actrice Juliette Binoche, confessant le lien vital qui les relie à leurs morts.

La confession fut d’une belle profondeur dans la maison que partagent les écrivains Christian Bobin et Lydie Dattas au Creusot – au milieu de la forêt, là où ils se protègent des « nuisances du monde »...

Ainsi, l’épistolier qui « écrit au monde sa ferveur » se souvient avoir tutoyé la mort quatre fois. D’abord, il se souvient, alors qu’il avait dix-neuf ans, de celle de son grand-père en « roi égyptien qui passe la nuit juste derrière la cloison avant qu’on le dépose dans la barque d’un cercueil »…

Puis, en 1999, son père, ce « vivant absolu », lui est arraché – et sa mort, ce jour-là, « prend la figure de chaises empilées », personne dans sa chambre d’hôpital n’ayant pris la peine de mettre des sièges à disposition des visiteurs…

 Il se souvient de sa mère devenir une « centrale nucléaire de silence » peu avant sa mort, en février 2013 – et, bien sûr, de celle de son amie, présente dans son œuvre depuis La Plus que vive

Car il ne reste plus à l’écrivain qu’à s’en remettre à la « puissance résurrectionnelle de l’écriture », à ce « sursaut de joie » qu’elle donne, pour dire la ferveur de ce que la mort n’emporte pas – cette poésie non consignée qui circule librement entre les êtres nés-pour-la-mort…

Ainsi, de ce fait divers mettant en scène une jeune fille poignardée à mort – ses derniers mots au passant, venu se pencher sur elle, furent : « Je vais mourir. S’il vous plaît, donnez-moi un sourire. »… Combien d’années ou de siècles d’écriture faut-il pour atteindre cette fulgurance tutoyant les cimes ?

Et puis, « pourquoi n’arrive-t-on pas à voir que nous mourrons aujourd’hui du manque de beauté » ? La tâche de l’écrivain, dans le peu de temps qui lui est échu, serait-elle de « mener une phrase à son maximum de simplicité et de profondeur » - sachant que « la vie n’est rien qu’une infinie variation de très peu » ?

Après tout, « il est dommage que nous que nous ne nous interpellions pas davantage les uns les autres sur ces questions de la mort », que « nous abandonnions ces sujets aux sinistres techniciens de la mort, techniciens de la science, voire techniciens du religieux » - « nous devrions nous en saisir : la mort est notre bien commun »… Pour l’écrivain, le morbide n’est pas dans la mort, il est « ce qu’on fait industriellement sans se préoccuper des personnes, pour racler de l’argent dans le fond de l’humanité comme on traîne des filets pour épuiser les océans » - le morbide est bien là, « dans ce que nous avons fait de la vie »…

L’écrit n’est pas vain, s’il vient d’une intime nécessité et c’est là tout l’avantage des bons écrivains de laisser beaucoup de choses dans leurs livres qui parleront pour eux « lorsque la puissance de parler » leur sera arrachée, quand les mots se mourront dans leur bouche, dans la défaite des cellules et la débâcle des jours – ils n’en ont pas moins frôlé un abîme de joie…

Si la mort gagne toujours à tous les coups, cette évidence n’en demeure pas moins déroutante – et, dans la création, l’on ne meurt pas de la même manière chez les gens de lettres de la postmodernité numérisée, chez les Scythes du temps d’Hérodote ou chez les drosophiles transgéniques…

A leur manière, chacun des sept témoins de cet ouvrage  rappelle que s’il y a une chose que nous avons perdu, en cette époque de basses eaux oublieuse des fins dernières d’une humanité en perdition, ce sont d’ores et déjà les vivants – pas les morts… L’interpellation de la mort, ouverte par ce livre qui ne se veut pas d’apprivoisement mais d’éveil, permet-elle encore de faire l’économie d’un humanisme qui n’aura pas l’éclat d’un mirage sous la faux ?


Damien Le Guay et Jean-Philippe de Tonnac, Les Morts de notre vie, Albin Michel, 286 p., 19,50 €

 

 

 

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