Shadows - Au bord de l'ombre

 

 

Ce livre de photographies se présente tel un écrin : il la dimension d’un poche et recèle 150 pages de joyaux en N&B au tirage argentique qui couronnent une quête insatiable et foisonnante ; l’auteur les a subtilisés (dans les sens figuré, littéraire et familier) lors de ses pérégrinations de sa Champagne natale au Japon en passant par le Maroc, l’Afrique noire, Sarajevo etc. Cet ouvrage vient-il en écho à son exposition à la Maison européenne de la photographie ou l’inverse ? Qu’importe, ils sont en symbiose.

 

D’abord, on peut le voir  comme un hymne au temps qui façonne la pierre et les visages in situ ou les paysages en parfait accord avec les réflexions de Rodin (qu’il cite d’ailleurs à plusieurs reprises) à propos du « martyr » de la cathédrale de Reims en 14 : « De cet amas puissant sortent des fragments de torse, des draperies, des chefs-d’œuvre massifs. Un simple, sans même comprendre, peut, s’il est sensible, connaître ici le frisson de l’enthousiasme. Ces morceaux cassés par place (…) sont admirables en tout. » Admirables, en effet, ces gargouilles qui ouvrent le livre dont l’une sertie d’une adresse épistolaire de Roger Gilbert-Lecomte : « Ce matin à 3h revenant d’accompagner rituellement la Gargouille dans sa transhumance » et, quelques pages plus loin, un vers de Testament du même phrère simpliste : «  l’horreur panique au fond de tout » nous saisit devant ce chaos géographique et historique.

 

Ensuite, on peut suivre ces visions (de gargouilles, moules de visages, statues, têtes aux membres mutilés, fissurés, brisés ou bien de corps momifiés, de peintures escamotés…) comme des réflexions miroitantes mises en perspective ; les photographies (parfois artistement piquées, sur ou sous exposées)  ont, de temps en temps, des citations manuscrites ou typographiques qui les encadrent ou y sont incrustées, voire tatouées sur des corps nus, et que le poète de l’objectif a emprunté à ses « alliés substantiels » : Rodin, Bachelard, Chris Marker, Daumal, Gilbert-Lecomte ; d’ailleurs Philippe Dagen souligne en titre et fin de sa préface une expression qui illustre le “Grand Jeu” des regards du photographe et des spectateurs face à ces prises poétiques : « les yeux de derrière les yeux, on ne peut pas mieux dire. »

 

Ces photographies qui se regardent et se répondent sont en parfaite correspondance avec le silence de Roger Gilbert-Lecomte à propos duquel Bernard Noël écrit en préface à ses poèmes : «  tout  cela, loin de cultiver une morbidité, provoquait la purification de l’énergie (…) La voie n’était pas balisée : elle usait du casse-dogme, du fracas de l’irrémédiable et du rire fou (…) Il vaut mieux s’interroger sur le fait que le Simplisme, sachant qu’il excédait toute parole, n’a rien laissé qui, justement, marquerait ses limites. » L’œuvre singulière de Gérard Rondeau en est ici une preuve criante et un exemple à méditer.


 Patrick Mouze

 

Gérard Rondeau, Shadows - Au bord de l’ombre,  éditions des Equateurs, 176 p, 19 €.

 

Maison européenne de la photographie, Au bord de l’ombre de Gérard Rondeau, exposition du 15 avril au 15 juin 2015.

 

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