L'éternité selon Suzanne Held

Huit couchers de soleil en ouverture, de Chéops à Angkor, du Taj Mahal à l’île de Pâques, de Persépolis à Palmyre, le clin d’œil complice de Suzanne Held nous rappelle qu’un crépuscule sera toujours suivi d’une aube. Et si l’humanité ressemble plus, en ce moment, à l’envoi de son histoire, nul doute que l’incipit du chapitre prochain n’a pas encore été écrit, raison de plus pour garder l’espoir et continuer à avancer tout en ayant conscience de l’obligatoire nécessité de conserver les traces du passé, et non de faire tabula rasa au nom d’un progrès passe-partout…

 

Suzanne Held (plus de vingt livres publiés, et une dizaine d’expositions personnelles depuis la première à l’UNESCO, en 2003) a consacré sa vie à témoigner de cette beauté négligée, rangée et oubliée. Pour que les nouvelles générations relèvent la tête de leur console, après cinquante ans de reportages et plus de trois cent mille photos, comment résumer le meilleur du meilleur ? Cet album relève le défi, aboutit à la concentration d’un absolu, chaque page étant une merveille des merveilles (comment ne pas en être autrement quand on sait le nombre de possibles offerts dans les archives de la photographe ?).



Tout aussi éprouvante et saisissante qu’à l’instant où elles furent réalisées, après des heures d’effort physique, de concentration, d’attente, le choc du ressenti est extraordinaire. Et l’œil qui est mémoire de l’Homme aura donc de quoi nourrir le substrat sensoriel de notre cerveau pour les années à venir, désormais heureux que nous sommes d’être parmi les privilégiés à avoir pu poser notre regard le temps qu’il faut sur ces images.

Les minutes glissent dans le sablier mais la statue de l’île de Pâques à la coiffe taillée dans des scories rouges n’a de cesse de m’hypnotiser. Sans doute la rémanence des premières vues, enfant, dans un livre de mes parents, mais plus on s’attache à cette île, à sa légende, plus on s’enfonce dans le mystère des réalisations moins on comprend et plus on est fasciné par cette beauté impossible en de tel lieu. Cet alignement majestueux d’une noblesse impétueuse défiant vents et marées dans l’apocalypse des saisons en révérence aux dieux d’un temps jadis. Sublime vision d’un absolu perdu à jamais sur l’autel digital. Jamais le monde numérique ne laissera un tel témoignage de si rare beauté.

 

Portraitiste des plus grandes civilisations, Suzanne Held, en grand reporter autonome, s’en est allée parcourir la planète dans tous les sens avec son bardas sur le dos. Photographe solitaire, fidèle à l’argentique et rejetant la facilité des zooms à grande focale, elle n’a qu’une seule règle : le cadrage. Avec son corollaire, la patience, infinie, pour parvenir à dompter la nature qui est tout sauf docile. Mais le résultat, abouti, témoigne d’une réelle préscience à savoir se jouer des formes et de la lumière. Miracle de Suzanne Held.

 

Reprenant les œuvres présentées fin 2005 au Grimaldi Forum Monaco, ce livre rappelle par sa composition combien cette exposition avait marqué les esprits, car la photographie de Suzanne Held s’affirmait photographie d’art, bouclant le concept initial qui prenait l’art comme modèle… Venant du monde documentaire, Suzanne Held connaissait donc toutes les formes techniques, ne manquait plus que cette consécration en prenant la mesure exacte de la force de ses clichés.

Suivront d’autres expositions à Paris, Nice, Montréal, Turin…

 

C’est au Canada qu’il se passera quelque chose de nouveau dans la carrière de Suzanne Held : elle porte un autre regard sur son travail. Désormais, ses photographies dialoguent avec des objets représentatifs des civilisations abordées provenant des collections de musées, une manière de faire en sorte qu’elles ne nous échappent pas.

Témoin de ce tout qui nous compose, humain et nature – indissociés nous devons vivre ensemble, Suzanne Held compose une œuvre unique dans la complémentarité entre photographie, objet d’art et espace environnant. La photographie devient alors ce témoignage intime de notre temps, primant l’osmose avec l’objet, dernière trace d’une mutation en cours, reflet d’une histoire commune.

 

C’est donc le livre de toute une vie – en plus d’être le livre de l’humanité. Avec une seule devise pour Suzanne Held : transmettre. « L’éternité n’est pas un rêve de grandeur, c’est la volonté partagée par toutes les grandes civilisations de laisser une trace, un sillon, pour que la route de la vie continue et ne s’arrête pas. »

 

François Xavier

 

Suzanne Held, Promesses d’éternité, 250 x 307, Skira, octobre 2014, 270 p. – 59,00 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.