Le fétiche du fétiche ou le voyeurisme anonyme à la galerie Berst

La Galerie Christian Berst présente un fonds photographique anonyme. Il a changé de mains à plusieurs reprises et est constitué de centaines de tirages amateurs pris entre 1996 et 2006. Le fétichisme et le voyeurisme de leur auteur y sont manifestes.

Il se traduit principalement à travers des clichés ou captures d'écrans de jambes gainées de collants. Ce parti-pris esthétique rappelle en partie la pratique de Miroslav Tichy.

Un tel art brut repose l'artification du regard par ce que  le fantasme produit en une telle sphère. L'imaginaire du créateur anonyme n'y fait souvent que souligner et traduire un imaginaire collectif.
Si bien qu'à sa façon un tel ensemble est discrètement expérimental et ouvertement existentiel tant par  sa vision  très particulière que par une suite de saisies dont l’approche est insidieuse.

Elle joue de l’apparition et de la disparition. La figuration fait insidieusement résistance au sein des jeux d’ombres et de lumières là où l'image fait ce qu'elle peut puisque les modèles qu'elle poursuit sont – le plus souvent – prises à leur insu.

Le corps apparaît en conséquence au sein d’auras plus ou moins brumeuses  là où le mystère plane. L’œuvre n’appartient ni au jour ni à la nuit mais entre deux mondes.

De la peau pétrie par des portions de lumière se déploient des chants nocturnes ou lumineux. Le corps flotte là où le temps et l’espace s’affrontent et se confondent.

 

De l’image émane la suprême pesée et la poésie de l’impondérable. Chaque œuvre reste à ce titre un cérémonial délétère, mystérieux, ludique, fascinant. Le corps est là mais échappe. Il est difficile parfois de ne pas penser à la mort. Pourtant Eros prend de voluptueuses poses. Craintives ou non  dans leur cage les panthères aux cuisses tentantes osent l’improbable parce qu’elles animent  sans le savoir ou non les sens.

L'art reste ici aussi sacrificiel que sacré. L’érotisme n’a rien des plaisanteries des gravures japonaises et l’empire des sens lui-même s’écrase dans des coquilles labyrinthiques. Du désert volcanique à la dépouille de la chair tout bascule sous des lumières indécises. Dans des escaliers une rampe peut céder, sur des terrasses des amoureux risquent d’intervenir pour brouiller les prises auxquelles l'artiste anonyme doit renoncer.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Le Fétichiste, anatomie d’une mythologie, Galerie Christian Berst , Paris, du 22 octobre au 29 novembre 2020

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