Henri Cartier-Bresson au dessin

                                                                   Paysage de Reillanne, crayon, 39,5x 48,5 cm, 1975.


Moins connus sont les talents d'Henri Cartier-Bresson au dessin ; discipline pourtant à laquelle, avant de devenir photographe, il s'initia dans sa jeunesse auprès d'André Lhote et de Jacques-Émile Blanche pour en être ensuite découragé en plein par la catégorique Gertrude Stein qui suscita ainsi, sans le vouloir, la magistrale carrière qui s'offrit à lui une fois parti pour l'Afrique, en 1930.
Grand détour, donc, que l'œuvre photographique puisque ce fut pour finalement en revenir au dessin – alors avec beaucoup plus de passion, de bonheur, plus que jamais d'assurance et tout autant de liberté acquise ! – le pratiquant régulièrement da solo selon son bon plaisir durant les trois dernières décennies de sa longue vie.
Ce qui, n’est-ce pas, n’est pas rien, en tout cas rien de la tocade, pour sûr !

                                                      Sur le motif près de chez lui, sous Montjustin. Photo Martine Franck.


Il faut dire que, l'œil déjà tout particulièrement exercé et fort doué par nature pour donner à voir selon l'expression d'Éluard, ne lui restait qu'à l'y faire complémentairement "obéir" sa main. Disons plus justement, l'accorder à son regard afin que le tout ne fasse vraiment plus qu’un à inspirer et mouvoir le crayon ; ce à quoi, de toute évidence, là aussi il réussit en plein.
Si bien qu’à l'opposé de l'instant décisif (emprunt reconnu au cardinal de Retz) photographique tant pratiqué, l'exercice du dessin – usa-t-il une seule fois de la noble encre de Chine au moyen de laquelle je ne lui connais, pour ma part, aucune œuvre ? – lui fut, alors sinon retiré, du moins quelque peu volontairement à l'écart, loin du bruit, donc, et de la presse des événements petits ou grands de l'actualité quotidienne – car passablement fatigué de parcourir le monde et puis, de plus, devenu papa en 72 d'une petite Mélanie – , une activité ô combien fructueuse et intérieurement régénérante dont il ne pourra plus se passer : dès lors partisan convaincu de l’aptitude du modeste crayon à papier comme moyen de prédilection pour désormais s’exprimer, sinon davantage, du moins plus personnellement et plus en profondeur que via l'art photographique en lequel il était pourtant passé maître à la réputation mondiale :
La photographie est, pour moi, l’impulsion spontanée d’une attention visuelle perpétuelle, qui saisit l’instant et son éternité. Le dessin, lui, par sa graphologie, élabore ce que notre conscience a saisi de cet instant. La photographie est une action immédiate ; le dessin une méditation.
H C-B, 27 avril 1992.

S’appliquer et réussir à faire envahir la page par tout l'énorme fantastique du mammouth de Durfort et autres impressionnants squelettes de la galerie de paléontologie du Muséum d'Histoire Naturelle tout comme se planter, pareillement, abrité selon le temps qu'il fait d'une chaude casquette fourrée ou d'un chapeau de paille claire, face à l’éternité ambiante d’un vaste paysage du Luberon nord où il avait sa familiale maison de vacances, lui procurait plus de plaisir, un plaisir plus vif et plus intense, supérieur, disait-il, à celui d’une photographie de plus, certes toujours aussi artistiquement saisie au vol – mais à ce moment-là, pour lui, comme à sa (trop ?) parfaite habitude – sur la roue du temps.

Lui qui, s’esquivant à chaque fois autant que possible, n’aimait pas bien du tout qu’on le photographie, s'attela par contre, installé en tête à tête avec lui-même, à son autoportrait en buste, front dégarni, aspectant son visage bien en face, pour s'y deviner, s'y dévoiler, là, tel qu'en lui-même abandonné corps et âme, de tout son être, à son propre regard introspectif et non pas, au contraire, superficiellement représenté furtivement par quelqu'un d'autre de l'extérieur en tant que photographe célèbre, people en somme, pour être livré en pâture.
 

                                          Henri Cartier-Bresson,1992 © Martine Franck, Magnum Photos.

 

André Lombard

Article connexe : Henri Cartier-Bresson, une évocation.

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