Marcel Coen chez lui à Montjustin

Au sein du peloton de photographes – et non des moindres, Henri Cartier-Bresson en tête – qui fréquentèrent Montjustin au vingtième siècle, il en est un – le moins connu d'entre eux, car le plus humble par nature, je crois – qui s'y trouva pourtant d'entrée plus particulièrement chez lui, montjustinien d'esprit, et donc de cœur à part entière, reconnu tel par les habitants bien que résidant à Marseille pour satisfaire à une bonne part de son travail "industriel" auprès de grosses boîtes comme la Shell, par exemple.
Marcel Coen – Pau 1918 – Marseille 2008 - fut celui-là.

Sa bonhomie habituelle accordée à un humour délicat, son cœur d'or, sa finesse d'esprit, furent des clés qui lui en ouvrirent les portes très tôt, au seuil de la trentaine, dès les toutes premières années d'installation de l'enthousiaste et enthousiasmante tribu Fiorio dans le vieux presbytère délabré tout en haut du village, au pied du clocher à l'italienne où, tel jour d'été de l'immédiate après-guerre, Marcel eut, parcourant le pays de Haute-Provence à la découverte, la providentielle curiosité de venir faire connaissance ; sans même avoir à frapper à la porte, simplement en conversant tout de suite familièrement par-dessus le muret du jardin attenant à l'habitation, hôtel des courants d'air, habitation d'espoir.
Spontanément née aussitôt, l'amitié fit le reste, finalement sur plus d'un demi-siècle !

                 Cheveux noirs, torse nu aux cotés de son ami le peintre, et encadrés ici des tutélaires parents Fiorio.


Marcel fut à la fois témoin et acteur de cette collective épopée héroïque qui, à force de courage – la sécheresse financière ayant tenu bon pendant pas mal d'années –, à force de chansons piémontaises et autres, à force de travail et de persévérance, à force d'huiles et aussi d'aquarelles, déboucha sur une véritable renaissance économique ainsi que sur une nouvelle convivialité sociale et spirituelle en ce haut lieu ruiné par la guerre de 14 et l'exode rural qui s'ensuivit, connexe.
Le 17 janvier 1945, Lucien Jacques 1891-1961 – avait été le premier arrivé, descendu en solitaire depuis Le Contadour où, y ayant gardé des attaches, il aimait y écrire et y peindre tout en y menant occasionnellement une vie de berger amateur. C'est dans son sillage et en partie sous son aile qu'au printemps 47, ce fut au tour des Fiorio de jeter l'ancre et de débarquer au village après que Serge y soit, il faut le dire, venu pour la première fois en éclaireur le 12 mai 1946, jour mémorable à plusieurs titres, où, écrira-t-il entre autres dans une lettre : Le ciel était de cristal et les cerises bien mûres !
Activités agricoles et artistiques s'intensifièrent dès lors assez vite, tandis qu'au bout de dix années d'une vie spartiate mais enchanteresse Lucien décidera subitement de changer ses chatons de place et d'aller s'installer non loin de là, au vieux moulin de Gréoux.
D'entrée tout désigné par son métier, Marcel continuera d'être, à mesure, l'idéal reporter de cet étonnant microcosme montjustinien, foisonnant devant l'objectif : travaux et jours de fiesta inoubliables, arborescence d'activités diverses et variées, vie des gens, vie des bêtes, paysages, portraits, insectes, fleurs des champs... Marcel était là, présent à tout cela, d'autant plus attentif et sensible, je l'ai dit, qu'il y était parfaitement intégré, partie prenante même.
 

                                                                                      Robert, le berger-maître de la tribu Fiorio.


Aujourd'hui que, depuis l'an 2.000, le fonds Coen – d'abord acquis en 1995 sous l'égide de Benoît Coutancier des musées de Marseille – a été documenté et transféré aux services des Archives de cette même ville, pourquoi ces derniers ne tendraient-ils pas maintenant la main aux Rencontres d'Arles comme aux Nuits photographiques de Pierrevert pour le faire ainsi prospérer publiquement en se passant le relais ?
Dans le même sens, et en accompagnement – pourquoi pas ! – de telles possibles futures manifestations, ce ne serait également que justice, n'est-ce pas, envers celui qui fut, et reste, l'un des meilleurs photographes français du vingtième siècle, qu'un solide ouvrage monographique lui soit décidément un de ces jours enfin consacré.
 

André Lombard
 

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Portrait du facteur-poète Jules Mougin par Marcel Coen.

Lucien Jacques : catalogue du musée Regards de Provence.

Lucien Jacques au musée de Forcalquier.

Henri Cartier-Bresson au dessin 1

Henri Cartier-Bresson au dessin 2

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