Le monde tel qu’il est : Vanessa Winship

Après avoir obtenu le prix Henri Cartier Bresson en 2011 Vanessa Winship  a pu réaliser son grand projet : traverser les États-Unis pendant un an de la Californie à la Caroline du Sud, du Nouveau Mexique au Montana. Découlent de ce voyage initiatique,  une exposition et un livre.  L’artiste y propose sa vision du rêve  américain  à travers deux genres : le paysage et le portrait. Ils permettent de créer un lien entre un territoire et ses habitants. Se retrouve l’esprit du photographe américain Michael Mathers. Comme lui l’artiste anglaise propose de la manière la plus pudique possible ses émotions. Le court  texte qui clôt le livre en témoigne. La photographe évoque  une mère et sa fille assises face à elle dans un train : le hasard veut que nous descendions ensemble à Cumberland et elles me précèdent vers le même parking. A aucun moment je ne suis assez près pour entendre ce qu’elles disent et je ne veux pas entrer en effraction dans ce monde parfait. La fille finit par nous remarquer, l’appareil et moi. "Vous avez un bel appareil", dit-elle. Sur ces mots nous montons dans nos voitures pour ne plus nous revoir. Tout est dit.
Chaque être rencontré, chaque paysage choisi ajoutent une touche impressionniste à un ensemble grave et envoutant. En noir et blanc et en plans larges et littéraux les prises touchent une étrange intimité. Les rapports entre les corps figés et les paysages plus ou moins laissés à l'abandon créent l’espace scénique fascinant et aride d’un cérémonial délétère. La saisie du banal est opérée avec le respect pour ce que Baudelaire appelait la trivialité positive. En émane une dimension onirique créée – paradoxe suprême - par la référence au réel le plus dur et sans nul recherche d'effets. La scénographie reste sobre, minimaliste. Vanessa Winship ne triche pas. L'émotion pesante et lourde passe par le filtre implacable de la retenue esthétique. Elle provoque l’apparition d’un lyrisme étrange. Il ouvre une faille particulière dans la vision des USA comme dans le rapport à l'effet miroir que la photographie généralement entretient avec celle ou celui qui la regarde.

Jean-¨Paul Gavard-Perret

Vanessa Winship, She dances on Jackson, éditions Mack, Londres, 144 p.-, 40€

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