Pablo : la vie de Picasso dans une BD sans direction mais pourtant pleine de magie

Picasso. Trois syllabes que tout le monde connaît : chacun rêve, en les entendant, à la révolution de l’art ; à la levée de boucliers nécessaire à la défense d’un style posé sur des règles anciennes que des contradicteurs disent désuètes ; à Montmartre et sa vie si particulière, dans et en dehors de Paris… Picasso, l’homme qui résume peut être en son pinceau l’habituelle querelle des anciens et des modernes (1).


Et une fois encore, cette « malédiction » le suit. Ici, au beau milieu du monde de la BD. Car le deuxième tome de Pablo, sortit en septembre 2012 et nominé pour Angoulême 2013, regroupe cela en lui-même. Le sujet est simple : avant Picasso, il y eut Pablo. Avant le monstre de la peinture que nous connaissons tous, il y a un homme d’une vingtaine d’années prénommé Pablo. Jeune hispanique émigré à Paris, il s’est formé dans son art et dans son être sur la butte de Montmartre. Fernande, Max Jacob, Apollinaire, Gertrude et Léo Stein, tous le font grandir par leur amour, leur amitié, leurs discussions. Même l’opium passe et repasse dans cette vie de misère mais de beauté pour nous amener, petit à petit, vers le géni.


Si les auteurs, Julie Birmant et Clément Ouvrerie, décident de raconter la vie de Picasso, ils révèlent aussi son art. Une leçon tant dans ce qui y est raconté que dans la manière dont elle est faite : les codes de la BD « classiques » y sont aussi bouleversés. Ainsi, pour le scénario, aucune histoire n’est réellement identifiable. Il n’y a que la vie de Picasso. Et soyons honnête, la vie, même du plus grand des hommes, n’a rien de réellement passionnant au quotidien. Alors celle d’un pauvre peintre drogué, en mal d’amour et d’inspiration… Cependant, même sans réelle ligne de caractère pour les personnages, d’envie clairement identifiée évitant aux héros – et par-là même au lecteur – d’avancer dans un brouillard total, Julie Birmant réussi à offrir une œuvre rythmée et alléchante. Pour la question graphique, il est nécessaire de constater un style particulier : des personnages avec de gros yeux, des postures figées, des planches à peu ou prou toujours identiques dans leur forme et mise en scène…

Si Picasso a « déconstruit » la peinture pour créer ses chefs-d’œuvre, il faut bien reconnaître cette qualité là à Pablo, Apollinaire : avoir su parfaitement nous donner cette impression avec la BD. Et comme dans toute situation où les « règles rigides » des anciens s’opposent avec fracas à la « créativité » des modernes dans les rouges plaines de l’art, il y aura des pours et des contres.

 

Cependant, force nous est d’admettre que l’ouvrage recèle d’une certaine magie, d’une poésie irrésistible qui nous entraine de plus en plus en dans la lecture quand bien même il n’y a en apparence aucune promesse des auteurs. Et peut être est-ce là leur plus grande réussite !

 

Pierre Chaffard-Luçon

 

1 : Nous retiendrons pour cet article une conception « large » de la querelle des anciens et des modernes, i.e. la défense par certains (généralement l’ancienne génération) d’une position artistique accomplie face à la recherche (souvent d’une jeune génération) d’un dépassement de règles estimées contraignantes. Ce fut ainsi le cas du contrepoint en musique, par exemple.


Julie Birmant & Clément Ouvrerie, Pablo : Apolinaire, Dargaud, Septembre 2012, 84 p. - 16,95 €

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