"Le diable en politique", la démystification


Un intellectuel

 

Auteur de La nouvelle judéophobie et de L’illusion populiste, la réputation de Pierre-André Taguieff n’est plus à faire. L’homme travaille aux confins de la politologie et de la philosophie dont il cherche à féconder les terreaux. Depuis 1983, l’intellectuel qu’est Taguieff est confronté au phénomène « Front National ». S’il a été (et demeure) un adversaire de ce parti, son livre constitue une interrogation : pourquoi recourir au discours de l’anti-fascisme pour faire reculer le parti d’extrême-droite ?  Pourquoi avoir recours à la reductio ad hitlerum, caractéristique des techniques d’agit’prop de la IIIe internationale ? et surtout, est-ce efficace ?

 

Un débat brûlant

 

Cette somme de Pierre-André Taguieff tombe comme un pavé dans la mare d’un débat qui empoisonne la vie politique française depuis 1983 : comment traiter le Front National et ses idées au moment où celui-ci remporte des mairies et arrive en tête des élections européennes de 2014 ? Sur le long terme, une des réponses de la gauche culturelle fut de réactiver ce qu’il commun d’appeler « l’anti-fascisme », hérité de l’entre-deux guerres. La grande trouvaille de Taguieff, chercheur érudit, est de relier cela à la prégnance de la culture chrétienne et à la vulgate développée par les sages de l’église. Car les premiers chrétiens furent des polémistes violents ! dans leur textes, ils rejetaient, à l’aide d’une dialectique acérée, l’adversaire dans le mal (y compris et surtout l’adversaire juif). Or, notre société est fille du christianisme même si elle s’est détachée de la pratique religieuse et, dans notre paysage politique, diaboliser l’autre reste une pratique facile et courante. On a pu le remarquer il y a peu lorsque Lionel Jospin a sorti un livre intitulé le « mal napoléonien », intronisant donc le petit corse dans le rôle du grand Satan qui a empêché la France de devenir une démocratie comme les autres, deux cents ans avant. Diantre, quelle vindicte !

 

La diabolisation du Front National était-t-elle justifiée ?

 

L’essai de Taguieff est donc passionnant et enrichissant.  L’auteur met à nu la stratégie d’une certaine gauche qui a visé à réduire Jean-Marie Le Pen à Hitler. Et sans succès : cela fait trente ans que ce parti qualifié de « bête immonde » figure dans le paysage politique. 


Pour autant, on en vient à se poser certaines questions (renvoyant d’ailleurs au récent ouvrage de Valérie Igounet sur l’histoire du Front National) : Taguieff ignore-t-il (ou feint-il d'ignorer) le rôle d’Ordre Nouveau, formation ouvertement néofasciste, dans la création et le développement du Front National ? Oublie-t-il le rôle de François Duprat, idéologue antisémite et antisioniste, qui suggéra le premier à Le Pen (père) d’utiliser le thème de l’immigration cause du chômage de masse pour attirer des électeurs ?

 

Soyons-clairs : la tactique de l’antifascisme, si efficace à court terme pour rassembler les familles de la gauche, ne fonctionne pas comme grille de lecture pour analyser un parti comme le Front National qui, malgré certains militants très remuants, n’est pas un rejeton lointain du mouvement de Mussolini et encore moins du IIIe Reich. C’est un discours, brillamment analysé ici, qui ne porte plus dans l’opinion. Il n’empêche que certains développements de Taguieff gênent car ils en viennent à excuser le discours d’un parti politique extémiste qui a attiré sur lui l’opprobre dès les années 80 à cause des déclarations tonitruantes de son leader et fondateur : rappelons l’affaire du détail, les jeux de mots fumeux au sujet de Michel Durafour et encore récemment la saillie sur Mgr Ebola… Il est vrai que le discours du FN n’est pas l’objet du livre mais il paraît  juste de rappeler qu’il a aussi fourni la  matière sur laquelle le discours antifasciste pouvait s’épanouir. A lire cependant, pour comprendre pourquoi, dans ce contexte où la Gauche (mais quelle gauche ? Vaste débat) gouverne, le FN a été paradoxalement renforcé par la diabolisation (car qui n'a jamais été attiré par le diable ?)…

 

 

Sylvain Bonnet

 

Pierre-André Taguieff, Le diable en politique-réflexions sur l’antilepénisme ordinaire, CNRS éditions, mai 2014, pages, 22 €

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