Pierre Bonnard : les Exigences de l’émotion

Après les Observations sur la peinture parues l’an passé, L’Atelier contemporain poursuit son travail d’émancipation des à-côtés de l’œuvre de Pierre Bonnard pour notre plus grand plaisir… Entre extraits de journal et notes de l’artiste prise au fil du temps, ce sont aussi des articles de l’époque qui sont exhumés de l’oubli, à l’instar de celui de Pierre Courthion datant de 1933, qui nous dépeint un Bonnard de soixante-six ans, toujours aussi sombrement vêtu, mais admirablement jeune dans son esprit et sa démarche artistique !

Des carrés de toiles, pas de châssis, une liberté totale : d’abord peindre, ensuite recomposer selon le format. Mais surtout ne pas faire de bruit, rester discret. Pierre Bonnard avait horreur des entretiens même s’il se pliait de bonne grâce à ce cérémonial ennuyeux.

 

Maintenant je reconnais la nécessité de donner à la peinture une assise, un poids, une plasticité. […] Le tableau tout entier doit être coloré.

 

C’est tout l’intérêt de cet ouvrage, affiner le portrait d’un homme pudique et éclairer une œuvre qui, de par sa nature si profondément poétique, échappe à toute emprise du critique. On ne (re)découvrira jamais assez Pierre Bonnard.

On ne pense pas à lui en tant que peintre de la finitude, artiste engagé dans la joie de vivre car conscient du bref séjour qui est le sien sur cette planète. « Bonnard, l’éveillé du temps fini, éveille ainsi à la possible musique de l’existence. »

 

L’œuvre d’art : un arrêt du temps.

 

Toute sa peinture vibre d’une même harmonie avec le temps présent, ce sentiment si fort d’exister : à la recherche du temps vécu serait un bon titre pour enchâsser son œuvre dans un grand tout. Mais serait-ce juste ? Bonnard est un poète, il n’a donc aucune limite et ne vit que de frémissements successifs qu’il tente de capturer par la peinture pour nous faire partager son émerveillement. Si l’on aime cette vie transitoire comme lui, alors nous pourrons jouir de sa beauté qui surgira de la toile dès lors qu’on la regarde avec les bons yeux.

 

N’est-ce pas, Bonnard, il faut embellir ?

Renoir

 

Mais la beauté ne fait pas tout, il y a quelque chose d’autre à chercher, à célébrer, cette émotion de vivre, ces affects qu’il est si difficile de traduire sur la toile… Selon Bonnard, cette expérience existentielle n’a pas été assez explorée : s’il demeure sensible à l’apport de l’impressionnisme dans la perception de l’éphémère, il aurait aimé que la peinture s’engage – avec Signac et Redon, notamment – vers ce « bas réalisme » des impressionnistes. Une recherche, une démarche qui, selon lui, n’a pas abouti à cause de l’intervention inopinée du cubisme et du surréalisme…

 

Le livre se clôt par le facsimilé – réédité pour la première fois – d’un ouvrage composé par Bonnard durant la Seconde Guerre mondiale, textes et dessins : Correspondances. Ce recueil de souvenirs est déterminant pour lui – et pour toute personne qui s’intéresse à son œuvre. Bonnard l'a conçu sous la forme originale de lettres manuscrites et illustrées, il fut publié en août 1944 aux éditions de la revue Verve.

Sa lecture nous plonge dans l'intimité des échanges que Bonnard aurait pu avoir avec ses proches, ceux qui le soutinrent dans sa vocation de peintre. Il y met en lumière des étapes inaugurales de l'union entre l’art et la vie qui marquèrent son parcours. Il s’agit donc bien de la naissance de l’artiste qui rejette ses habits d’avocat – Bonnard fit des études de droit pour ne pas déplaire à son père – et affirme sa gratitude envers ses soutiens. Par le jeu de la lettre qui offre tous les possibles et permet de disparaître derrière une signature, Bonnard demeure léger et s’évite tout commentaire inutile. « À ces êtres chers et qui ne sont plus, il redonne voix grâce à des lettres manuscrites signées d'eux. Mais de toutes ces lettres, en réalité, il est l'auteur. Qu'elles ressemblent ou non à des lettres qu'il a reçues d'eux jadis importe peu en fin de compte », souligne Alain Lévêque dans sa préface. « Fidèle à l'intense partage qu'il a vécu avec ces êtres, Bonnard va plus loin – au plus vrai. Ces missives, il les invente sous la dictée du cœur et de la mémoire, complétant chacune d’un ou de plusieurs dessins qu’il trace au crayon et à l’encre. »

 

François Xavier

 

Pierre Bonnard,  Les Exigences de l’émotion, préface d’Alain Lévêque, L’Atelier contemporain, février 2016, 250 p. – 20,00 €

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