"Quelques ombres" nouvelles de Pierre Charras

Avec ces huit nouvelles, initialement publiées en revue de 1983 à 2003, Pierre Charras s’attache à photographier des vertiges, des basculements où le cours des choses semble prendre un sérieux coup dans la nuque ; de ces pertes d’équilibre dont on ne revient pas indemne.

De l’innocence pulvérisée dans le sordide à la persévérance amputée par l’absurde, les univers miniatures volent en éclat sous l’impulsion d’une écriture à la fois simple et subtile.

Si les nouvelles diffèrent assez radicalement par leurs sujets et leurs situations, le « clash » reste le moteur du recueil : un nid d’amour balayé par une phrase portant dans son infernale simplicité toute la puissance de la désillusion, un couple ébranlé par la vision d’une fillette dans le métro, un enfant livré en pâture à toute l’abjection du monde, le périple d’un corps souffrant à la lisière de la mort se remémorant son passé, un rendez-vous qui tourne au tragique, un siècle disséqué et dont toute la beauté aurait pu entrer dans une valise, une nudité foudroyante et un comédien, dont la suffisance et l’assurance finiront par s’embraser dans un ridicule cruel.

Le ton est souvent désinvolte ; tout semble s’accorder sur le fait qu’il faille s’imposer un détachement de rigueur, afin de ne pas devenir fou devant la puissance du vide ; cette force qui brise les idéalistes, les candides, les ambitieux dans le même éclat de rire, en un claquement de doigts, d’où cette ironie qui pointe çà et là, comme lors d’une cérémonie des Molières, dont Charras connaît bien l’univers pour avoir été acteur.

L’auteur se veut rassurant, il promène ses personnages, les mène du bout des doigts, au point que ces héros du quotidien semblent se laisser faire, confiants, jusqu’au bord de la falaise, comme pour éprouver jusqu’au fond de l’âme l’étourdissante fragilité de leur être.

Ces hommes drapés de certitudes dérisoires, à l’instant de la rupture, sont les reflets, jusqu’au cliché, d’une société aux repères faussés ; le choc est sans appel. 

Ainsi, les quelques lueurs que l’on surprend, dans ces tranches de vie en proie au désenchantement, demeurent dans la faculté d’esthétiser ces naufrages, de rendre justice à notre condition par un peu de beauté, notamment grâce à des constructions ingénieuses.

Arnault Destal


Pierre Charras, Quelques ombres, le Dilettante, septembre 2007, 183 pages, 18 €
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