Guyotat et le défroqué

Joyeux animaux de la misère fut présentée par Guyotat comme des jactances. Et l'auteur de préciser : La jactance est la manifestation de celle ou celui qui veut prendre la place de l’autre.  

Ce procédé permet à l’auteur une forme de détente puisqu’il n’est plus lui-même mais un autre. Néanmoins la tension revient vite étant donnée la radicalité du propos. Et il faut à l’auteur, par instants, retrouver "sa" propre langue. D’où l’effet labyrinthique d’une telle fiction. Tout est écrit dans le besoin de sortes de répliques rapides créatrices d’une rythmique où les mots même courants  reviennent ré-annexés selon un propos sans doute insupportable pour un lectorat classique.

Guyotat ose en effet l’excès non seulement de la langue mais de ce qu’elle crée. Et l’auteur de se "justifier" (si besoin était) une grande œuvre, c’est effectivement une œuvre où il y a plutôt plus de choses que moins de choses. Il faut qu’il y ait de la musique dans la musique. Restant seul avec ses figures, Guyotat visionne des scènes qui se créent avec l’écriture : rythmes et images sont donc liés : Dès que je me mets à mâchonner un mot, je mâchonne une image ; le mot est la naissance de l’image.
L’auteur invente une confession-fiction des turpitudes dont le naturalisme  vaque entre le vécu et la fiction - l’un n’étant pas plus "vrai" que l’autre.

Premier inédit de Guyotat à paraître depuis sa mort le 7 février 2020, Depuis une fenêtre permet de replonger dans l’ampleur des mondes fictionnels et l’intensité poétique de Joyeux animaux de la misère à travers Rosario. Contrairement à ce que laissait penser la fin du tome II, il n'est ni mort, ni ressuscité : sa strangulation n’est pas finalement allée à son terme. Sa vie continue. Il semble prêt à abandonner sa défroque de putain ou du moins à fuguer, moto enfourchée – entre le fils devant et le père derrière – vers ce monde des bestiaux humains qui l’attire.

Jean-Paul Gavard-Perret

Pierre Guyotat, Depuis une fenêtre  Joyeux animaux de la misère III, coll. Hors série Littérature, Gallimard, avril 2022, 144 p-., 22 €

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