Universitaire, écrivain, critique né en 1955, connu pour se battre contre les bien-pensants et les coteries littéraires qui ne savent que protéger une littérature creuse.

La petite cuisine de Pierre Jourde

A l'occasion de la parution de Festin Secret, Pierre Jourde a accepté de se confier à nous.

Festin secret, par sa forme et son ampleur romanesque, ne ressemble à aucun de vos précédents romans, est même aux antipodes de Dans mon chien par exemple. C’est le fruit d’une recherche délibérée ?

Pierre Jourde. Je fais en apparence des livres toujours différents. Festins secrets ne ressemble à aucun de mes livres, qui ne se ressemblent pas entre eux (si : Festins secrets n'est pas si loin de Carnage de clowns, mais personne n'a lu ce livre, donc ça ne se voit pas). Cela pose la question de la cohérence de mon travail d'écrivain. En fait, j'ai curieusement l'impression de me répéter, et comme j'ai besoin de me surprendre moi-même, il me faut des formes différentes. En profondeur, je me répète. Dans les thèmes obsessionnels. Dans le ton, mélange d'ironie agaçante et de mélancolie angoissée. Je cherche quelque chose à chaque livre, j'essaye de m'approcher de ce que je devrais être.

Le livre est assez sombre, mais l’impression d’un décor de parc d’attractions — maison hantée, train fantôme, galerie de monstres... — est prégnante, ce qui nous installe entre le réel et le fantasmagorique. Quels confins voulez-vous atteindre ?

Pierre Jourde. C'est bien vu. Je cherche mes peurs et mes admirations enfantines. Les clowns et le rire m'effrayaient. La bouffonerie angoissée est mon esthétique. La peur qui se moque d'elle-même, l'ironie qui terrorise. Le personnage principal de mes livres est toujours caché.c'est plus ou moins le diable. 

Le réel n'est jamais simple. Il est toujours pénétré d'imaginaire et de fantasmagorie. Pour moi le vrai réalisme doit intégrer la fantasmagorie. Notre monde est de plus en plus déréalisé, virtuel. C'est ce que j'ai voulu faire sentir.

Dans Pays Perdu, vous donniez une part de votre intimité en peignant à la Huysmans le village des vacances de votre enfance. Festins secrets est l’autre côté, et vous voilà proustien ? 

Pierre Jourde. Pays perdu parle un peu de mon père et des gens qui vivent là-bas, peu de moi. Festins secrets n'est pas autobiographique. Ce qu'ils partagent, c'est le goût de la noirceur et du secret, la fascination pour les êtres ou les lieux où la beauté se mêle intimement à l'abject. La douleur de ne jamais pouvoir saisir la beauté, la peur de ne pouvoir y parvenir que dans la destruction. 

Vous vous êtes fait de bons amis parmi les gendelettres, du fait de vos essais, vous attendez le retour du bâton ? 

Pierre Jourde. Je me suis fait des ennemis et de vrais amis. L'animosité de certains m'importe assez peu tant qu'ils ne parviennent pas à me censurer, malgré des très réelles tentatives. D'ailleurs il est juste que le critique se fasse critiquer, si cela est fait avec des moyens honnêtes et avec bonne foi. Le cas hélas est assez rare. Quoi qu'il en soit, je continue à penser que le combat littéraire est signe de vie, pour autant qu'il s'agisse d'idées et de style.

Derrière le roman, il y a aussi un certain nombre de charges. Vous continuez le harcèlement sur Sollers notamment. Pas fatigué, Jourde ?

Pierre Jourde. Je crois qu'il est bon d'avoir ses ennemis attitrés, ses épouvantails à soi. Et puis je serai fatigué quand Sollers et d'autres auront moins de pouvoir. Pour l'instant je tire à coups de pétoire contre des tanks. Ça exige de s'y reprendre à plusieurs fois. 

La société dans son ensemble est mise  mal, et le système de l’éducation nationale en premier lieu. Votre charge rejoint plusieurs essais corollaires traitant du mal être scolaire qui paraissent tous en ce moment (1).  Vous êtes dans l’air du temps ? 

Pierre Jourde. Il serait bon qu'après des années de silence on parle enfin de la monstruosité du système éducatif français, et de la démolition culturelle de plusieurs générations d'enfants. Il y a urgence. On en est arrivé à un point tel que certains, en effet, ne parviennent plus à rester silencieux. Tant mieux. Mais il est peut-être déjà trop tard. 

Des personnalités, notamment de la télévision, sont reconnaissables et pas à leur avantage, dans des réflexions ou comme personnage de votre roman. Votre avocat et votre éditeur sont prêts ?

Pierre Jourde. C'est assez secondaire. Ces personnages sont là parce qu'ils contribuent à la déréalisation médiatique du monde dont nous parlions tout à l'heure, et aussi parce que, tout fantasmagorique qu'il est, mon roman entend entrer dans le gras du réel, si je puis dire, c'est-à-dire dans l'entremêlement des discours et des images qui le constituent. 

Vous vous en prenez aussi beaucoup à la société dans  son ensemble, dans ce qu’elle a de  vil aujourd’hui. Vous attaquez le système des banlieues mouroirs et pointez l’Islam comme responsable en partie de l’état des lieux sombre que vous dressez. Certains propos sont précis et portent à polémiques (on est loin de la « serviette de table sur la tête » de Houellebecq à propos d’Arafat). Vous attendez la riposte ? 

Pierre Jourde. Oui, je crois qu'il y aura riposte, et je crains le malentendu. Je pense qu'une certaine dégénérescence culturelle de l'islam dans le contexte des banlieues occidentales produit des monstruosités et une véritable régression mentale. Je ne suis aucunement raciste pour autant, ni anti-religieux. Mes personnages sont porteurs d'un discours qui cherche ses propres points de rupture. Ce qu'ils disent, je me le dis aussi, ou plutôt cela fait débat en moi. 

Si c’est, plus généralement, la maladie du siècle qui vous intéresse — la connerie —, vous n’allez pas manquer d’ouvrage ! Mais vous espérez quoi de la lecture de Festin secret ?

Pierre Jourde. Un plaisir de lecture mêlé de malaise. J'aimerais qu'on lise ce livre comme un polar, mais aussi qu'on entre dans une certaine profondeur de rêverie, qu'on descende dans l'obscurité et qu'on se sente parfois perdu.  

Revenons au roman. Il foisonne de référence et d’allusion. Certaines nous apparaissent assez évidentes (le château de Kafka), mais il doit nous en manquer beaucoup. Quelles sont les grandes sources de ce roman ?

Pierre Jourde. Elles sont nombreuses, selon des modes très différents. Principalement Le Golem de Meyrink, et en général la littérature pragoise du début du siècle. L'Invitation chez les Stirl, de Gadenne. Marcel Béalu. Le locataire, de Topor ; Le Jeune maître Brown, de Hawthorne. Le coin plaisant, de James. Des films aussi, ceux de Lynch notamment, ou Shining, de Kubrik. Plus secrètement, L'institu Benjamenta, de Walser.

Vous poursuivez parallèlement vos activités de critique et de professeur. C’est stratégique ?

Pierre Jourde. Je ne suis pas aussi stratégique que Philippe Sollers. J'ai toujours aimé ça, et puis c'est aussi mon métier. Mais j'aimerais consacrer plus de temps à la fiction, qui a toujours constitué ma priorité. Pour l'instant, je ne peux pas encore en vivre. 

On vous annonce pour le prix Renaudot. Que feriez-vous de ce prix ?

Pierre Jourde. Je ne sais pas en quoi il consiste. Si c'est une œuvre d'art, je la brandirai fièrement devant les caméras. Ensuite, j'ai des dessus de cheminée inoccupés. S'il s'agit de sous, j'investirai peut-être dans l'immobilier. Dans le Cantal, par exemple.


Propos recueillis par Loïc Di Stefano

(1) La Fabrique du crétin de Jean-Paul Brighelli (éd. Jean-Claude Gawsewitch), Ecole terrain miné de Carole Diamant (Liana Levi), etc. 

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