Universitaire, écrivain, critique né en 1955, connu pour se battre contre les bien-pensants et les coteries littéraires qui ne savent que protéger une littérature creuse.

Pierre Jourde recouvre les (dé)plaisirs du pays perdu

À la sortie d’anéantir il faut un grand bol d’air, un retour aux sources, et qui mieux que Pierre Jourde dont Le maréchal absolu m'avait estomaqué – ou Pierre Pelot qui nous gratifia par le passé de ses chroniques piquantes – pour nous remplir les yeux d’oxygène. Des écrivains ayant les pieds sur terre, voire dans la terre, l’âme ouverte aux quatre vents, laissant la girouette donner le la sur des paysages grandioses où les hommes affrontent chaque jour le défi de l’existence. Le tout servi par une langue française joyeuse, juste, mordante, en un mot envoûtante...
Après la peinture parfaite de Houllebecq sur notre monde citadin qui s’enfonce tous les jours un peu plus vers sa perte, cette mise au point sur le Pays perdu, poésie à la Bonnefoy où L’arrière-pays n’est pas si loin, malgré la broyeuse moderne qui détruit hommes, villages et cultures ancestrales, nous remet un peu d'énergie et de joie à l'âme…

Un décès dans le village d’enfance du narrateur sera prétexte à un voyage au pays, partager le deuil, revoir les anciens – ceux qui restent –, saluer les amis d’enfance. Et surtout, se souvenir, marquer le coup, offrir aux fantômes leur heure de gloire, rappeler la vie d’avant, savourer les jeux simples d’antan, la liberté absolue dans les prés et la forêt, la compagnie des animaux, la complicité dans ce hameau aux 6 maisons…

Complicité certes, mais promiscuité aussi, puis jalousie alors, forcément, trop peu nombreux pour ne parler que de soi, on s’occupe un peu des autres, un peu trop parfois, puis l’alcool aidant on dépasse les bornes, mais l’on rit beaucoup aussi, on fait des visites qui s’éternisent autour de la bouteille et l’un entraînant l’autre, on finit parfois dans le fossé, proche du coma éthylique et on y laisse ses doigts gelés ; mais qu’importe, on se redresse et la vie continue. Le paysan n’est pas woke, il ne se met pas en arrêt maladie quand il se casse un ongle. On est ici dans le réel, l’absurdité contemporaine est absente. Tout se paie comptant. Rien ne se fait tout seul en appuyant sur un bouton. Ici l’on vit de trois fois rien, on se lave quand on peut, on dort à même la paille, on travaille quinze heures par jour, qu’il neige, qu’il vente, qu’il fasse moins cinq ou plus trente. Les animaux ne prennent pas de vacances…

Fallait-il partir, fallait-il rester ? Partir pour s’en sortir, rester pour que perdure… quoi, d’ailleurs ? La misère et la dureté du labeur, la souffrance au travail pour quelques bêtes et un lopin d’hectares dont plus personne ne veut… Trop isolé, trop dénaturé, le village et ses hameaux n’amusent plus que les touristes qui viennent se perdre l’été dans le cul du sac de cette route qui s’enlise dans la bouse au détour d’un virage. La France oublie ses paysans, ses paysages, ses origines, peuple de la terre nous dérivons vers un destin digital qui nous anéantira tous…
Qu’il faille avoir honte de son absence, signifierait que la douleur est honorable. La douleur n’a rien d’honorable. L’idée même est déplaisante, comme si l’on pouvait tirer quelque rétribution de cela. Ni la souffrance, ni l’absence de souffrance ne peuvent se vivre sans culpabilité. Il faudrait apprendre à ne plus s’en vouloir.

 

François Xavier

Pierre Jourde, Pays perdu, Folio, janvier 2022, 180 p.-, 7,60 €
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