Lemaître en majuscule

Durant la guerre, quand il y avait du sang, il y avait Mathilde. Mathilde, la courageuse et superbe résistante épousa ensuite certain docteur Perrin puis devenue veuve, retrouva ses réflexes de guerrière et devint tueuse à gages.
Elle enchaîna les missions. Parfois, elle emmenait sa fille à la piscine, la laissait un court moment, le temps de tirer une balle dans la tête d’une femme qui cherchait ses clés de voiture et de revenir toute guillerette, ses sacs de courses à la main.

À plus de soixante ans, devenue pot à tabac au visage ravagé, elle poursuit ses activités sous les ordres d’un mystérieux commanditaire. Aussi dangereuse, que précise, elle exécute chaque commande de façon impeccable. Avec elle, c’est toujours parfait, net et sans bavure. Et si elle peut viser les parties, c’est encore mieux. L’argent n’étant pas son mobile – ses coffres à Lausanne ou à Genève, elle ne sait plus très bien, étant remplis –, restent sa cruauté et son attrait pour le carnage.

Dans le monde disparu des années 1980 où l’ADN, les GPS ou les réseaux sociaux n’existent pas, dans lequel on se sert de cabines téléphoniques et de cartes routières, Mathilde glace le sang à l’ancienne avec  une détermination de  robot.

Dans ce roman tendu, à l’action et aux dialogues ciselés, Pierre Lemaître revient à ses premières amours, le roman policier.
À ceci près que Le serpent majuscule est l’un de ses premiers romans, écrit en 1985, vingt ans avant que Travail soigné, Cadres noirs ou Robe de marié ne le fassent connaître comme un des maîtres du polar, presque trente ans avant qu’il ne soit couronné par le prix Goncourt Pour Au Revoir là-haut.
Dans cette œuvre de jeunesse, se dessinait déjà la rigueur et la justesse de l’auteur.

N’ayant jamais proposé Le serpent majuscule à un éditeur, il a décidé de le publier comme un adieu au roman noir.
Il précise dans l’avant-propos qu’il est sorti du roman noir sans l’avoir voulu, Au revoir-là-haut n’étant qu’un polar historique qui a mal tourné et l’a ouvert au projet littéraire des Enfants du désastre.
Pour lui, proposer son premier roman policier comme le dernier fait sens :

Le roman noir est fréquemment circulaire : une boucle narrative se renferme sur elle-même. Aussi m’a t-il semblé assez logique que mon dernier roman noir publié soit précisément le premier que j’ai écrit.

Pour un adieu, la réussite est au-rendez-vous et pour se consoler du départ de Pierre Lemaître vers les rives de la littérature générale, le lecteur peut se tourner vers Le dictionnaire amoureux du polar qu’il a signé récemment chez Plon.

Brigit Bontour

Pierre Lemaître, Le serpent majuscule, Albin-Michel, mai 2021, 329 p.- 20,90 €
Pierre Lemaître, Dictionnaire amoureux du polar, Plon, octobre 2020, 816 p.-, 27 €

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