Pierre Loti, Voyages au Moyen-Orient : L’étonnant voyageur

Amateurs de voyages lointains, voici une cargaison d’exotisme : cinq récits d’expéditions effectuées entre 1895 et 1907, par l’auteur d’Aziyadé et de Pêcheur d’Islande, Julien Viaud, connu sous le nom de Pierre Loti. L’intérêt en est triple : c’est remarquablement bien écrit, cela informe sur les voyages il y a un bon siècle et cela, enfin, révèle ce qui semble aujourd’hui impensable : c’est qu’il était alors possible de voyager paisiblement dans des régions où, de nos jours, on se ferait canarder cent fois. Presque tous les territoires que Loti parcourut étaient alors assujettis à l’autorité de l’Empire ottoman, que les Alliés mirent tant de zèle à dépecer dès 1917.

 

Ces textes frappent par leur humour occasionnel, la sobriété savante des descriptions et une nostalgie qui traverse certains passages comme un parfum lointain. Loti n’apprécie guère « « les tristes agités d’Occident ». On dirait qu’il prévoyait déjà la fin d’une période de calme, après laquelle « tout s’en ira vite, vite, comme un ruisseau qu’on ne peut plus retenir : tout, la paix, le rêve, la prière et la foi. »

 

Loti n’était pas historien, ni érudit : croyant se retrouver dans la Nazareth de Jésus, il parle des « Nazaréens et des Nazaréennes » qui viennent apporter des cadeaux au voyageur et à ses compagnons. Las, un habitant de Nazareth est un Nazaréthain, un Nazaréen étant le membre d’une secte disparue de rigoristes, à laquelle on suppose que Jésus appartint. Quelques autres petites erreurs ne parviennent pas à effacer le charme de ces pages qui fleurent l’oranger, le jasmin et la rose autant que le sable brûlant, la crasse des chambres d’hôte et la poussière des bazars.

 

Le plus célèbre de ces cinq livres est La mort de Philaé, lui-même composé de plusieurs sections toutes consacrées à l’Égypte. C’est sans doute le plus savoureux, car Loti y donne libre cours à son aversion pour le tourisme, qui était alors aux mains de la célèbre agence Thomas Cook and Son, et pour les Anglais en général ; il les accuse, en effet, d’avoir causé la « noyade » du temple de Philaé par le premier barrage sur le Nil, destiné à irriguer des terres jusqu’alors arides pour y faire pousser du coton. Qu’aurait-il écrit sur le second barrage, construit soixante ans plus tard par les Égyptiens eux-mêmes ! N’empêche, la verve anglophobe de Loti déclenche le fou rire.

 

L’on se dit qu’il fallait bien de la santé pour voyager comme le fit notre auteur : à cheval, de l’aube à la nuit et de caravansérail en caravansérail. On se sent fourbu rien qu’à lire qu’il descendait de cheval. C’est dire son talent.

 

Gerald Messadié

 

Pierre Loti, Voyages au Moyen-Orient, Le désert, Jérusalem, La Galilée, Vers Ispahan, La mort de Philaé, Préface par Jean-Claude Perrier, Arthaud, octobre 2012, 859 pages, 26 € 

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