"Justinien", l'empereur des deux mondes


Un enjeu historiographique

 

Spécialiste du christianisme ancien, Pierre Maraval a déjà publié d’intéressantes biographies de Constantin et Théodose le grand. Déjà auteur d’une courte synthèse sur Justinien, il nous offre aujourd’hui une véritable biographie, prétexte à un éclairage bienvenue sur cette figure de l’antiquité tardive. Surtout connu en Europe pour le code qu’il porte son nom, Justinien fut empereur de 527 à 565. Mais de quel empire s’agit-il au juste ? D’un empire romain d’orient, ancré dans l’antiquité tardive si bien par Peter Brown ? Ou sommes-nous déjà dans l’Empire byzantin, ce monde médiéval et oriental qui fascina l’Occident chrétien (qui le détruisit cependant) ? Au-delà de ces questions académiques bien sûr présentes dans cet ouvrage, on est en droit de se demander aussi quel homme fut Justinien.

 

Un empereur chrétien… et amoureux

 

Originaire de Thrace, parlant latin et grec, Justinien est le neveu de l’empereur Justin, parvenu sur le trône après la mort d’Anastase (que des générations d’étudiants connaissent à travers la lettre du pape Gélase où celui-ci affirme que sa supériorité en Auctoritas par rapport à l’empereur, une conception qui va à l’encontre du césaro-papisme byzantin). Justin le prend sous son aile, le fait travailler dans son administration… Mais ne peut empêcher son neveu de s’enticher d’une actrice nommée Théodora : rappelons que les métiers du spectacle comme mime ou comédienne étaient dénoncées par l’Église qui les mettait au même rang que des prostitué(e)s. Justinien n’en a cure et l’épouse, ce qui permettra à Procope, fonctionnaire palatin et intellectuel de s’en donner à cœur joie dans l’ « histoire secrète » , pamphlet violent sur le couple impérial Rares sont cependant les empereurs, romains ou byzantins, à avoir fait ce qu’on peut appeler un mariage d’amour.

 

La gloire et les ombres

 

Selon Pierre Maraval, Justinien n’avait pas prémédité de la reconquête d’une partie de l’ancien empire romain d’occident, qui s’était effondré au cours du Vième siècle. Il a par contre profité des occasions procurées par la désorganisation des royaumes vandales (Afrique) et ostrogoth (Italie) et du conflit religieux ouvert entre des barbares hérétiques (c’est-à-dire tenant de l’hérésie arienne) et des populations orthodoxes (ou catholiques). Le talent de deux généraux, Bélisaire et Narsès, pour reconquérir l’Afrique et l’Italie ont aussi beaucoup joué. Reste cependant que ces deux conquêtes ont beaucoup coûté au trésor impérial sans rapporter  par la suite.

 

Empereur romain ou Basileus byzantin ?

 

Héritier d'Auguste, Justinien, profondément croyant, a voulu réconcilier l’Empire, partagé entre païens, juifs et chrétiens, puis entre chrétiens orthodoxes et hérétiques. Envers les païens, Justinien voulut appliquer une solution dure, interdisant la liberté de conscience. Reste que son entourage palatial comptait des fonctionnaires païens, qu’il ne révoqua pas. Envers le judaïsme, Justinien ne remit pas en cause le principe de religio licita hérité de la période romaine mais il combattit vigoureusement la révolte des samaritains auquel certains juifs prêtèrent main forte. Justinien chercha toute sa vie à réconcilier les orthodoxes  grecs et les monophysites syriens et égyptiens mais il échoua, malgré sa puissance… Justinien rêva bien d’un empire chrétien, comme le dit la couverture, et tenta toute sa vie d’y parvenir malgré les périls intérieurs (sédition Nika, hérésies) ou extérieures (barbares ou perses, toujours menaçants) : c’est une des raisons qui rendent ce personnage fascinant. Romain ou byzantin en définitive ? Les deux, tant il appartient aux deux mondes et il fallait bien tout le talent et l'érudition de Pierre Maraval pour nous peindre son portrait.

 

 

Sylvain Bonnet

 

Pierre Maraval, Justinien, Tallandier, mars 2016, 432 pages, 22,90 €

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