Pierre Rabhi, semeur d’espoirs - Cultiver son jardin est un acte politique !

A soixante-quinze ans, ce petit bonhomme de Pierre Rabhi n’en finit pas d’enthousiasmer ceux qui prennent soin d’écouter sa conception du monde. D’abord confidentielle, à présent plus populaire, la philosophie du chantre de l’agroécologie a inspiré des esprits éclairés comme Alexandre Jollien, qui font le pèlerinage tous les ans. Fondée sur un rapport intelligent et naturel à la Terre-mère nourricière, inspiré de nombreuses lectures parmi lesquelles Socrate ("je ne sais pas, mais je suis conscient que je ne sais pas"), Ivan Illitch ou Krishnamurti ("ne me croyez pas"), cette philosophie de la sobriété heureuse s'oppose à la surconsommation et exprime une idée simple : chaque être a son rôle dans la nature, aussi modeste semble-t-il, et respecter l'ensemble c'est respecter chacun (1). C’est en aimant la terre, en la respectant, qu’elle vous aimera de retour et pourra nourrir toute l’humanité sans s’épuiser. 

 

« En [Krisnamurti] j’ai aussi retrouvé la maïeutique socratique, c’est-à-dire une prédisposition à la méditation par la parole spéculative, une sorte d’introspection fondée sur une vision dite pénétrante, parce que libéré du connu, de tout ce qui forme et déforme la perception construite avec des préjugés, des principes et des préceptes. Cette approche a pour objet de se libérer de toute autorité, de tout gourou. Au "connais-toi toi-même", j’ai donc ajouté le "libère-toi toi-même" qui m’a aidé à prendre de la hauteur. »


Une philosophie en action, consciente d’elle-même et de ses limites, mais aussi tournée d’une manière absolue vers l’humain. Et la modestie de Pierre Rabhi n’enseigne pas un dogme, il ne connaît pas le sentiment d’avoir raison, mais il propose un chemin, comme au Burkina Faso où il a créé des centres d'éducation agricole qui ont révolutionnés le rapport à la terre.

 

« L'éducation, au lieu d'être définie par rapport à l'épanouissement de l'enfant, au lieu de l'inviter à s'ouvrir, à comprendre le monde, est prédéterminée par l'idéologie d'une société qui doit fabriquer un être humain utile au système. Car il ne faut pas être hypocrite, c'est bien de cela qu'il s'agit. »


Au cours de ces entretiens accordés trois jours durant à Olivier Le Naire, Pierre Rabhi fait pour la première fois peut-être un retour sur son parcours personnels, sa double culture musulmane et chrétienne, son implantation dans la ferme en Ardèche qu'il a reconstruite de ses mains (plusieurs années sans électricité, sans eau...), l’exclusion de sa famille quand il s’est converti au christianisme, l’accueil glacial des parents de Michèle quand il l’a épousé. Doublement étranger, de culture et d’origine, ce citadin quitte tout pour apprendre le métier de la terre, ou plutôt le rapport à la terre.


"Jardiner est un acte majeur, un acte de résistance dans un monde où même la capacité de se nourrir par soi-même est confisquée aux populations. Cultiver son jardin est un acte politique." 

 

Rabhi et Le Naire évoquent des sujets aussi (apparemment) lointain que la guerre, les religions, le commerce, la famille, l’agriculture, les écologistes (plus soucieux de leurs cabinets ministériels que de la Nature), le libéralisme, les apprentissages, les amis, les paysans. Tout est lié pour Rabhi dans le regard qu’il pose sur l’homme, comme éléments parmi d’autres d’une nature qui a tout le potentiel pour créer de l’émerveillement au quotidien mais que l’on souille et pille, sur laquelle on tue et crée le plus humain des enfers volontaires. Sur sa petite colline, Pierre Rabhi nous délivre un message d’une évidente simplicité, de cette simplicité presque hors de portée, presque désuète, mais vraiment essentiel  : l’amour.

 

Loïc Di Stefano

 

Pierre Rabhi et  Olivier Le Naire, Pierre Rabhi, semeur d’espoirs, Actes sud, « domaine du possible », octobre 2013, 160 pages, 15 eur


(1) Olivier Le Naire dans sa préface a cette jolie parabole : "à l'image du colibri de cette légende amérindienne qui porte de l'eau dans son bec et la veste sur les flammes d'un immense feu de forêt. Un tatou l'observe et lui demande : 'Mauis que fais-tu ? Tu ne vois donc pas que cela ne sert à rien ? — Peut-être, répond le colibri, mais je fais ma part".

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