L’art chinois par-delà le temps

L’art en Chine, et d’abord la peinture qui est si présente, est depuis le fonds des âges lié à l’esprit, donc à la pensée et ainsi à l’écriture, qui trouve dans la calligraphie son accomplissement. Cet art ne peut donc être seulement fonctionnel, il participe à l’élévation de l’esprit. Sa forme est essentielle, elle pourrait presque s’effacer au profit de l’émotion et de la beauté pure. L’économie des moyens jusqu’au vide parfois laissé à dessein pour exprimer cette beauté ou les sentiments humains témoigne de la volonté de mettre en valeur les harmonies entre l’être et le cosmos, les forces naturelles, les puissances supérieures. Un artiste qui avait aussi le don de l’écriture, Zhao Mengfu (1254-1322), consigna quelques jolis vers à ce sujet. 

Les rochers comme dans le « blanc volant », les arbres comme dans l’écriture des sceaux,
En peignant des bambous, on doit maîtriser la technique du déploiement des huit.
Ceux qui comprennent parfaitement ce principe
Savent que calligraphie et peinture ne font qu’un depuis toujours .


L’étirement du temps, pour reprendre le mot d’un critique, semble ne jamais finir dans l’Empire du Milieu et ce qui y germe, prospère et fleurit ailleurs et bien plus tard. On dirait que les siècles à la fois passent et demeurent. Tout se renouvelle dans une sorte de permanence. Plus décorée, plus solide peut-être, une verseuse à manche en grès, produite sous la dynastie Liao, appelée aussi Empire Khitan, entre disons les X et XIIème siècles, présente la même pureté de lignes que ce vase Gu à libations de la fin de la dynastie Shang, autour de 1570 à 1045 avant J.-C. De même que ces motifs en spirale que l’on admire sur une jarre du néolithique renvoie à ces merveilleuses feuilles et tiges de lotus stylisées qui ornent un fauteuil fabriqué sous la dynastie Ming (1368-1644).

 

On se croit devant la transmission d’un héritage reçu comme un dépôt sacré, une leçon recueillie à laquelle avec respect la main plus moderne ajoute sa trace. Les bambous peints par Zheng Xie (1693-1765) ont la grâce, la vigueur, la vivacité des caractères qui relatent cette Elégie pour mon neveu, un texte rédigé par Yan Zhenqing, calligraphe de renom qui écrivait en observant « le carré réglementaire », ce qui donne au rouleau son unité visuelle, une élégance de présentation rarement égalée. On appréciera tout autant les alignements souples et équilibrés du poème Tang, à l’encre sur papier, qui permet à Deng Shiru (1743-1805), dont la calligraphie « a le charme de l’antique », de composer en écriture sigillaire une page d’un style que l’on dirait volontiers moderne.     

Née en Chine, la porcelaine chinoise (kaolin vient de Gaoling, le mont où on l’extrait) a conquis sa réputation à l’échelle mondiale. Celle dite doucai c’est-à-dire aux couleurs contrastées est particulièrement séduisante. Le bol au motif de coq qui est présenté dans cet ouvrage est aussi sobre qu’expressif. Les bleus et les rouges se marient avec une délicatesse telle que les effets de vivacité et de relief apparaissent comme renforcés et spontanés. Les porcelaines « bleu et blanc » fabriquées dans les fours impériaux de Jingde, durant la dynastie Ming sont évidemment célèbres.

 

La bouteille aplatie Bianhu en est la preuve manifeste. « Placées dans le bureau ou le séjour, ces bouteilles avaient un but essentiellement décoratif ». Celle qui est reprise ici « a une ouverture étroite, un col tubulaire, une base plate et une panse rappelant un tambour folklorique, ornée d’un dragon. La pâte est fine, la couverte brillante ». Elle évoque ce musicien conteur façonné avec dextérité et gaieté en argile grise, à l’allure étonnante, rassemblant en peu de traits l’humour, la gestuelle des spectacles, le savoir-faire des artisans de l’époque, en l’occurrence la dynastie des Han orientaux. Privé volontairement sans aucun doute des proportions réelles, il n’en a pas moins une grâce et une vérité humaines qui défient les règles esthétiques courantes.

Il donne une parfaite image de ce que pouvaient être ces réjouissances populaires d’alors, quand la musique côtoyaient les acrobaties, la lutte, les prestidigitations, les imitations d’animaux.

Relié à la chinoise, avec ses fers à dorer, d’un maniement souple et commode, pourvu d’une double pagination bordée de carmin et des explications très pédagogiques et utiles qui une fois dépliées, situent les objets dans les temps et les lieux, cet ouvrage est un véritable agrément pour les amateurs qui découvrent toujours de nouvelles pièces. Pour les débutants intéressés par cette culture de belles œuvres, ils trouveront là des sources inépuisables de savoir. Entre les délices nocturnes de Han Xizai, une audience devant l’empereur, un faisan doré posé sur un hibiscus et les hauteurs de Lushan, le regard est sans cesse captivé par ces agencements de couleurs et de volumes qui défient les règles auxquelles il est habitué. En outre, il ne faut pas oublier que beaucoup de pièces sont le travail d’artistes inconnus ! On se risquerait, en pensant à Marco Polo et son voyage vers Cathay, à reprendre le mot fabuleux à propos de ce livre. Il offre en tous cas un véritable itinéraire historique et artistique.

Dominique Vergnon

Collectif d’auteurs, 5000 ans d’art chinois, 250 illustrations couleur, 212 x 272, éditions Place des Victoires, octobre 2018, 280 p. -, 39,95 €

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