«Si j’étais riche…», la vie de château selon Sophie Talneau
À la fin de la lecture du livre de Sophie Talneau, «Si j’étais riche…», qui tente de «creuser la question du bonheur», en regardant d’un œil compatissant Franck Marcou, son personnage, qui, lui, essaie de «repartir de zéro pour devenir quelqu’un », tout en lorgnant la vie de château de la baronne Elisabeth de Vaugrenard, sa protectrice, on ne peut pas s’empêcher de s’étonner de la puissance inégalable qu’a cette recherche de félicité salvatrice sur des êtres de toute condition et de tout âge. Franck en est un très bon exemple, puisqu’il fait partie de la catégorie de ceux qui ont tendance «à tout remettre en question», «à paniquer vite», «à culpabiliser aussi».
Il faut reconnaître que la vie n’a
pas du tout été tendre avec lui. Il amasse à lui seul, une quantité de malheurs
presque incalculable qu’il peut dire que la malchance est devenue une règle générale
dans son quotidien. Né sous X, Franck ne connaît pas ses parents biologiques,
il est élevé par ses parents adoptifs qui font ce qu’ils peuvent pour lui
donner l’amour dont il a besoin, plus tard, il se marie avec Pauline, ils ont
ensemble trois filles merveilleuses, sauf que Pauline disparaît brutalement
emportée par la maladie. Et, pour que l’arsenal des catastrophes soit complet,
il perd son travail d’informaticien et se retrouve au chômage «à tourner en
rond comme un imbécile, à demander ce qu’on mange le soir, à calculer les
traites à payer pour la maison». Dans l’espoir de trouver plus facilement un
nouveau poste, il déménage à Nantes accompagné de ses trois filles, Rose,
l’aînée, Mimi et Violette, les deux jumelles.
C’est donc en partant de ces
prémices que Sophie Talneau va conduire sur le chemin de la résilience cet
homme qui, du haut de ses quarante-cinq ans et malgré ses «airs de grand gars
costaud et pas compliqué», n’est en réalité que quelqu'un «pétri de
doutes à l’intérieur». «Pauvre et veuf», il se regarde comme étant «un
survivant tenant à peine debout après l’apocalypse». Ce n’est pas surprenant
qu’il va tomber rapidement dans «la solitude et le sentiment d’abandon, de
tristesse sans fin».
« Comment retrouver le goût
de la vie, si ce n’est celui du bonheur ?», se demande-t-il.
Sans tomber dans les clichés d’une
complaisance faussement dramatique ni dans ceux d’une littérature à l’eau de rose
pour tenter d’amplifier ou de diminuer la tension narrative de ce qui est en
train de se passer, Sophie Talneau a l’intelligence et l’incontestable talent
de choisir l’innocence, la pureté et la fraîcheur de Rose, de Mimi et de
Violette comme catalyseur de la renaissance qui va sauver toute la famille et qui
va redonner sens à leur père effondré. Leurs voix sonnent tellement vrai, leur
fraîcheur est si contagieuse, leur approche et leur capacité à rebondir dépasse
la profonde douleur et le manque d’amour maternel qui les taraudent. À tel point
que, lorsque Julia va faire son apparition dans leur vie, comme une possible
relation d’amour de leur père, leur réaction va être si vraie, si directe et
déconcertante par sa sincérité et son innocence que l’on ne sait pas qui adopte
qui, qui appelle qui pour un bonheur inespéré devenu de plus en plus possible.
Tout aussi percutant est le
personnage d’Élisabeth de Vaugrenard. Veuve, riche et noble, cette enseignante
de français à la retraite veut écrire ses mémoires. Pour cela, elle a besoin
des compétences d’un informaticien pour lui apprendre les secrets du traitement
de texte. C’est ainsi qu’elle commence à travailler avec Franck Marcou, après
l’avoir connu au gré d’une vente sur Le
bon coin. Figure singulière, ayant vécu avec un secret difficile à porter,
la baronne a longtemps passé pour une excentrique, surtout à cause de son
attachement démesuré à son chat, prénommé Charles, arrivé à un âge inhabituel. Sous sa carapace de femme exigeante et
capricieuse, qui profite bien de sa position pour imposer ses opinions et ses
règles se cache une femme sensible et seule. La recherche d’identité qu’elle va
entamer le prouve tout en dévoilant cette fragilité. Sa souffrance est d’autant
plus grande, à cause de la solitude de Julia, sa fille, en train de divorcer. Au
château, ces deux solitudes semblent trop lourdes, seuls les projets d’écriture
de la baronne ou les projets professionnels de Julia pourraient les apaiser.
Et Franck en tout ça ? Et ses adorables filles ? Vont-ils croiser leurs destins avec la baronne et avec Julia, sa fille ? Dans quelle mesure ces destins vont-ils arriver à panser leurs plaies, plus anciennes ou plus récentes ?
C’est surtout en cela que l’art
de romancière de Sophie Talneau réussit à les faire se rencontrer, se
connaître, sans se heurter ni tomber dans les lieux communs d’une littérature
réduisant l’humain à une évolution vers un bonheur invraisemblable et
impossible. Rien d’artificiel ne s’interpose dans ce cheminement, chacun
portant avec dignité et naturel ses blessures plus ou moins profondes et
identifiables.
«Si j’étais riche» est un roman
lumineux qui ignore les complications à vocation psychologisante qui, par on ne
sait quel tour de magie dramaturgique, réduirait la solitude en une technique d’accomplissement purement spontané de soi. Le récit de Sophie Talneau est vrai,
justement par cette simplicité de montrer la vie dans ses formes les plus dures,
les plus détestables, mais aussi les plus belles et inattendues. Y compris lorsque
l’on parle du désir d’une richesse qui est ici plus proche d’une confortable
aisance que d’un patrimoine mesurable et démesuré.
Ce que Franck cherche pour lui et
ses filles ce sont plutôt des êtres capables d’amour, un espace de vie
respirable et la dignité de vivre du fruit de son travail. Il faut avouer que
ce sont des sentiments communs à nous tous, à des milliers, sinon à des
millions de gens qui nous entourent. En cela, le roman de Sophie Talneau trouve
une place de vérité par son ancrage dans le monde d’aujourd’hui.
Quoi de plus noble,
finalement ? On sait, depuis Ulysse, quelle place occupe dans nos vies
l’espace familier d’une patrie, d’un chez-soi connu et confortable, habité par
des proches qui nous aiment et qui attendent notre retour.
Chateaubriand le dit d’une manière magistrale, au début de ses Mémoires d’Outre-tombe : «Si jamais les Bourbons remontent sur le trône, je ne leur demanderai, en récompense de ma fidélité, que de me rendre assez riche pour joindre à mon héritage la lisière des bois qui l'environnent : l'ambition m'est venue ; je voudrais accroître ma promenade de quelques arpents […]».
Une totale fidélité à un roi dont le retour est incertain pour quelques arpents de terre où l’on peut voguer à son gré, juste pour apaiser sa solitude – voilà le plus incroyable luxe d'un homme comme le vicomte de Chateaubriand !
Sans doute, les personnages de Sophie Talneau n’ont pas cette charge esthétique dont bénéficiait le locataire d’Aulnay. Mais qui pourrait nier ce rapprochement, ne serait-ce que par leur besoin vital de respirer une liberté salvatrice, aux vertus miraculeuses?
Dan Burcea
Sophie Talneau, Si j’étais riche…¸ Éditions Plon, 2015, 219 p., 16 euros.
0 commentaire