Cher Jupiter de Isaac Asimov, qui devait aussi payer des factures !


 Qui songerait à présenter Isaac Asimov (1920-1992) ? Connu mondialement pour ces cycles des Robots et de Fondation, auteur incroyablement fécond et vulgarisateur zélé du progrès scientifique, Asimov a marqué des générations de lecteur. Il a même été adapté au cinéma (citons l’Homme bicentenaire et I, Robot) et des auteurs entretiennent le mythe en écrivant des suites de Fondation, d’un intérêt plutôt limité d’ailleurs.

Cher Jupiter, réédition d’un ouvrage ancien paru dans la défunte collection « Présence du Futur », propose une série de nouvelles courtes, qu’Asimov vendit aux revues Galaxy et Analog sur une période courant du milieu des années cinquante au début des années soixante-dix, précédées d’une courte présentation de l’auteur, parfois drôle. Disons-le d’emblée, la qualité est variable, mais constitue aussi un précieux témoignage quant à l’histoire du genre.

Courts et efficaces ?

Le recueil commence par Qu’est-ce que ça peut bien faire à une Abeille ? qui reprend un thème emblématique de l’époque : l’alien présent parmi les hommes en secret, traité de manière positive par Asimov puisqu’il guide l’humanité depuis des millénaires vers les étoiles tout en grandissant lui-même. Assez efficace, dotée d’une chute plutôt poétique, le lecteur enchaîne sur pauvres Imbéciles qui se veut à la fois morale et critique de la course aux armements nucléaires de l’époque, traduisant une angoisse typique des années 50. Puis vient Cher Jupiter où l’humanité vend très chèrement une géante gazeuse, enjeu dans une guerre commerciale entre deux civilisations. Pluie, pluie va-t-en ! narre un après-midi entre deux familles dans une banlieue américaine dont les membres de l’une d’entre elles sont angoissés à l’idée qu’un orage éclate. Ils ne cessent de scruter le ciel jusqu’à la tragédie finale…

Asimov fait preuve de métier dans ce recueil. Dans ses préfaces, il confie écrire à la demande, et être sollicité régulièrement par des éditeurs en mal de textes - et parfois capricieux semble-t-il, mais on sait que le bon docteur, en bon conteur, aimait réécrire son passé…- et des confrères anthologistes. Les histoires proposées sont dans une moyenne honnête mais on ne peut pas dire qu’elles brillent. Le format court, short story, a permis à certains auteurs de pondre des joyaux : pensons à Frédéric Brown (à quand une anthologie ?), Sheckley, Ellison, Lafferty. La concision réussit à Asimov - il est parfois trop disert dans ses romans - mais ne lui permet pas pour autant de briller, sorti de ses univers de référence.

Reflets d’une société

Par contre, ce recueil témoigne de l’évolution de la société américaine dans la seconde moitié du vingtième siècle. Cher Jupiter est ainsi une peinture assez fidèle des années cinquante, de ses publicitaires triomphants tout droit sortis de la série Mad men, avides de profits et de réussite matérielle. Pluie, pluie va-t-en ! se déroule dans ces banlieues pavillonnaires dont l’Amérique va bientôt répandre le modèle dans le monde entier. La sourde angoisse de l’autre dont Asimov se fait le témoin, indique aussi le poids du conformisme ambiant des Happy days. Les changements des années soixante transparaissent petit à petit. Ainsi Thiotimoline vers les étoiles fait preuve d’une certaine insolence envers les experts, les cadres, l’establishment. C’est vraiment 2430, traitant à la fois de la surpopulation et de la disparition des espèces animales jugées inutiles, qui traduit chez Asimov la montée d’un pessimisme, qui avait toujours été présent, maintenant en résonnance avec une critique de la société de consommation, en contradiction avec sa foi dans le progrès (caractéristique du groupe des Futurians, auteurs de SF de « gauche » qu’il avait fréquenté à la fin des années quarante). Au niveau du style, peu d’évolutions. Asimov ne semble pas avoir remis en question sa technique narrative avec la montée des jeunes générations (même s’il participa à la célèbre anthologie Dangereuses Visions d’Harlan Ellison, accordant son parrainage tranquille au turbulent garnement).

Au final, un recueil mineur d’historiettes conçues pour payer les impôts, contenant pourtant deux nouvelles vraiment réussies, Pluie, pluie va-t-en ! et 2430. Pour le néophyte, on conseillera cependant de commencer directement avec Fondation ou les Robots, bien plus cruciaux quant au genre qui nous intéresse.

Sylvain Bonnet

Isaac Asimov, Cher Jupiter, traduit de l’américain par Anne Villelaur, Gallimard, "Folio SF", 191 pages, janvier 2012, 5,30 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.