La "Zone" de Mathias Enard reçoit le Prix Décembre 2008 et le Prix du Livre Inter 2009
Étouffant. Frénétique. Magistral. Ce roman fut salué en son temps
de belle manière (Prix Décembre 2008, Prix du Livre Inter 2009). Le voici
désormais en poche à un prix modique. Une manière de vous inviter à ne pas
passer à côté de ce monumental chef-d’œuvre de la littérature. Voici une épopée
humaine comme il ne nous est donné d’en lire qu’une fois par décennie, et
encore... Sans ponctuation, mais si bien écrit que cela s’avère inutile. Voici
donc le récit d’un drôle de voyageur parti de la gare de Lyon pour Rome. Trop
fatigué pour dormir. Alors se parle. Revisite son passé en s’appuyant sur
l’Histoire.
Ne se refusant rien, Mathias Enard, tel un cinéaste, libère son écriture dans
un plan séquence au souffle débridé. Se mêlent les victimes aux bourreaux, les
héros aux criminels de guerre dans cette zone méditerranéenne qui fut son champ
d’expertise ces dernières années... L’espion Mirkovic a ainsi pu côtoyer les
pires salopards qui œuvrèrent à ce que l’Algérie, le Liban, la Bosnie
deviennent l’enfer sur terre. Dans le seul but d’accroitre leur position,
politique ou commerciale.
Au-delà de la violence de certains passages, de la lucidité du narrateur, de la prophétie subliminale portée par l’auteur, il y a cette éternité à jamais inscrite dans le texte. Ce sont ces mélanges de virtuosité narrative et de faits réels qui coupent le souffle à la lecture. Happé, le lecteur devient partie prenante de cette fresque homérique. Ils y croisent Zeus et Athéna, le boucher de Sabra et Chatila. Les snipers de Sarajevo.
Mais il y a aussi de la magie. Elle opère et fait que ce livre n’est pas un
livre sur l’histoire violente des hommes. Mais bien l’humanité résumée sous nos
yeux. Le narrateur interpelle ainsi les Parques de sa vie intérieure comme
autant de baumes sur ses plaies purulentes. Et rien ne vaut un amour pour
panser l’âme qui dérape. Voici Intissar la rêvée. Marianne la trop paisible.
Stéphanie la pragmatique. Ou encore Sashka enfermée dans son mutisme. Toutes
auront l’éclat de la vérité en elle : cette porte de sortie qui se dérobe
sous les pieds des hommes et leur fait faire les pires monstruosités sous
couvert d’absolu.
Annabelle Hautecontre
Mathias Enard, Actes Sud, Zone, “Babel", août 2010, 517 p. - 10,50 €
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