"Bloodsilver"

Roman habile mêlant fantastique et western et qui s’inscrit dans le genre particulier de l’uchronie, Bloodsilver est le seul texte de  "Wayne Barrow" (pseudonyme utilisé par deux auteurs français désireux de s'amuser...) , paru d'abord aux éditions Mnémos et maintenant en folio SF. Il a obtenu rapidement une certaine reconnaissance en obtenant le grand prix de l’imaginaire 2008.

Une Uchronie réussie


L’uchronie est une réécriture de l’histoire qui a la particularité de rester familière. L’Amérique décrite ici, nous la connaissons tous. Ses icônes défilent : Mark Twain, les Dalton et Doc Holliday, Calamity Jane, la horde sauvage (ici assimilée à un rassemblement de chasseurs de vampires) et jusqu’à Teddy Roosevelt. La seule différence est qu’ici l’histoire de l’Amérique est conditionnée par l’arrivée des vampires, ces immigrants si particuliers fuyant la vieille Europe.

Les vampires, appelés ici Broucolaques, puis Brookes, de chasseurs cruels deviennent bientôt victimes et en viennent à jouer le rôle des indiens (qui leur rendent hommage à travers la ghost dance) et des noirs (d’ailleurs Lincoln se fait assassiner parce qu’il cherche à obtenir l’égalité des droits pour les buveurs de sang). L’ensemble est plutôt convenable.  Différents tableaux se succèdent, de l’arrivée des vampires en Amérique au 17ième siècle jusqu’au débarquement en Europe en 1917. Le style évolue aussi au cours du roman : un peu ampoulé au début, il devient plus fluide, plus concis dès lors que la narration nous amène dans le grand Ouest.

L’arrivée de Mark Twain est savoureuse. Le personnage romanesque ressemble à la légende du conteur américain tel que nous la connaissons. Hâbleur et truculent, menteur et sympathique malgré son ego surdimensionné, Twain connaîtra pourtant un destin tragique, différent de celui que nous lui connaissons : sur sa mort se clôt un roman assez ambitieux et qui laisse pourtant insatisfait.

Un simple exercice de style ?

Quand s’achève la lecture de Bloodsilver, le bilan est mitigé. Les auteurs impressionnent par leur culture, leur talent à reconstituer les époques, leur brio à faire revivre les grandes figures de l’Ouest américain. Par exemple, à travers le légendaire règlement de comptes à Ok Corral, ils réussissent très bien à susciter des images sortis tous droits des westerns d’Hollywood (la mort de Doc Holliday est ainsi directement inspirée de Sept secondes en enfer de John Sturges). L’hommage rendu au western, via une histoire de vampires (cela nous renvoie aussi au film éponyme de John Carpenter) est un des aspects les plus réjouissants du livre. Les chapitres consacrés au massacre de Woonded Knee et à la vieillesse d’un Mark Twain désenchanté sont également parmi les plus convaincants.

On est pris par le cheminement de cette histoire parallèle qui mène hommes et vampires d’un affrontement sans merci à une coexistence pacifique en partie imposée, semble dire l’auteur, par le développement du capitalisme et également par la logique d’intégration induite par un rêve américain : Twain et la horde sauvage ne sont que des vestiges du passé destinés à disparaître.

Pour autant, Bloodsilver manque d’une certaine unité. Peut-être aurait-il fallu un style plus percutant, plus incisif. On ressort de ce livre en ayant assisté à un exercice de style, réussi mais manquant du nécessaire petit grain de folie. Le concept d’uchronie implique certaines contraintes (recréation du passé tout en y instillant ici et là des différences avec notre propre histoire que le lecteur va découvrir avec délices) qui ont pu peser sur la narration. Enfin, il s’y ajoute l’impression d’avoir lu une série de tableaux, qui se succèdent sur trois siècles, assez figés et manquant de vie (même si la partie 19e siècle est beaucoup plus vivante).

Plus proche d'Autant en emporte le temps de Ward Moore, paru dans les années soixante-dix dans la défunte collection « Présences du futur » chez Denoël, que d’un chef d’œuvre comme Le Maître du haut château de Philip K. Dick, Bloodsilver reste un roman réussi bien qu' inégal, très agréable et sympathique... Ce qui n'est déjà pas mal, me dira-t-on, et on aura bien raison.

Sylvain Bonnet

Wayne Barrow, Bloodsilver, Gallimard, folio SF, 496 pages, janvier 2010, 7,70 €

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1 commentaire

John Wayne et Clyde Barrow, opur le pseudo ?