"Juliet, naked", Rock mania

Nick Hornby, auteur
de High fidelity, est aujourd’hui reconnu par le public et la critique. Devant son succès au cinéma et en librairie, on a pu parler de phénomène Hornby dont il est maintenant intéressant de savoir s’il est mérité.

Un couple de quadras anglais, Annie et Duncan, vit dans une petite station balnéaire du nord de l’Angleterre. Annie fait le bilan de sa vie et déprime tandis que son compagnon Duncan ne se rend pas compte de la crise qu’elle traverse. En fait, sa vie tourne autour de la vie et l’oeuvre d’un chanteur des 80’s, Tucker Crowe auquel il voue une admiration passionnelle et obsessionnelle. Complètement déconnecté de la réalité, Duncan passe le plus clair de son temps à discuter avec des fans de Crowe sur un forum qui lui est consacré. Tous ces fans prêtent foi aux histoires les plus fantastiques et les plus farfelues,  trouvées sur le web (remarquons d’ailleurs que les extraits de conversation sont intégrées dans la narration, avec un effet bienvenu à la fin), cette fantastique machine à rumeur et à fantasmes...

Sort alors les démos du plus grand album de Crowe, Juliet naked : Duncan crie au génie, Annie trouve que c’est loin de valoir l’original et chacun publie son avis sur le disque sur le forum. Ce désaccord ne fait que précipiter la crise finale de leur couple. Et Crowe de son côté ? En retraite, vivant dans un coin paumé des Etats-Unis, il fait aussi le bilan de sa vie, de ses histoires de couple et de ses cinq enfants (il n’a été un père que pour le dernier) et s’intéresse particulièrement à l’avis laissé par Annie. Il décide de lui écrire…
A la lecture de ce rapide résumé, on devine qu’il y a deux histoires qui s’entremêlent dans ce roman assez riche dont le personnage de Duncan est le trait d’union :

Un portrait de femme au bord de la crise de nerfs

Annie est le personnage qui irrigue le plus le roman, c’est par elle que tout arrive Même si elle se montre parfois assez passive (elle suit Duncan dans ses pèlerinages et ses obsessions, rejoint Crowe parce qu’il le lui a demandé…), elle prend les décisions qui se veulent structurantes au niveau de l’intrigue : elle quitte Duncan, prend contact avec Tucker Crowe, le fait venir en Angleterre, le présente à son ex toujours aussi flippé au sujet de son chanteur favori. Annie est touchante quant à son mal être récurrent (à presque quarante ans, englué dans un quotidien peu enthousiasmant, elle se demande si elle peut encore plaire, vivre, ressentir des choses) et parfois exaspérante (sa relation caricaturale et narcissique avec son psychanalyste ne sert qu’à enfiler des clichés vus depuis Woody Allen sur la vacuité des analyses). Pour autant, Hornby réussit à nous accrocher avec son personnage, bien plus qu’avec celui de son (ex) compagnon, Duncan.

Une satire du rock et de ses fans

La satire commence dès les premières descriptions de Duncan, de sa quête fétichiste qui le mène à hanter les lieux « mythiques » fréquentés autrefois par son héros Tucker Crowe et qui ont amené à la conception du grand album. Il est exaspérant dans son narcissisme, son obsession qui le conduit à être le meilleur des fans, le plus pur, celui va s’enthousiasmer pour un album de démos censé contenir l’expression la plus authentique du talent de Crowe (alors qu’elles sont inabouties et inécoutables, ce qu’Annie ne manque pas de lui faire remarquer).

Duncan fait partie de ces individus inadaptés, qui vivent à travers les faits et gestes d’un héros donné. Sa compulsion l’a coupé du monde et paradoxalement de son héros : quand il le rencontre, il ne peut accepter cette confrontation avec le vrai Tucker Crowe, qui apparaît loin de l’idéal qu’il s’est construit pendant des années. Tout lecteur qui a été un jour fanatique d’un chanteur rock (car seul le rock et sa mystique adolescente entraînent ce genre d’addiction) peut comprendre ça. L’auteur de ces lignes avoue s’être, avec horreur, retrouvé dans certains traits du personnage de Duncan…

Au final, ce roman est finalement assez réussi, en partie grâce à sa narration chorale à trois voix. À coup sûr il touchera un public assez large, entre trente et cinquante ans, cultivé et arborant une « rock attitude » qui ne peut que le pousser à acheter ce livre. Mais si vous êtes fan de classique, de jazz, est-il possible d’adhérer à ce livre de Nick Hornby ? Oui, pourquoi pas, parce que l’auteur est habile et le livre somme toute bien écrit.

Sylvain Bonnet

Nick Hornby, Juliet, Naked, traduit de l'anglais par Christine Barbaste, 10/18, mai 2011, 8,20 €

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