"Terminus les étoiles", Monte cristo adapté en SF

Suite à un naufrage, Gulliver Foyle est piégé dans une épave, le Nomad, et survit tant bien que mal, avec des réserves de nourriture qui s’épuisent. Un jour, il aperçoit un croiseur qui passe à proximité et lui envoie un signal de détresse. Mais le navire s’éloigne et continue sa route, laissant Foyle, fou de colère face à cet abandon et cette violation des lois spatiales.

 

De retour sur Terre, il n’a qu’une obsession : retrouver ceux qui l’ont abandonné à son sort et se venger. Que la Terre soit en guerre avec ses anciennes colonies du système solaire lui importe peu. Tous les moyens seront bons pour atteindre son but, y compris les pires.

 

Alexandre Dumas en SF

 

Alfred Bester reprend le schéma narratif du Comte de Monte Christo : la vengeance comme motivation, le trésor du château d’If  (Foyle retournera sur le Nomad récupérer sa cargaison qui lui donnera la fortune nécessaire à l’exécution de sa vengeance), le changement d’identité (Foyle deviendra Quatmyle de Cérès, propriétaire de cirque ambulant, pour couvrir ses agissements). En plus de ce trésor, il a récupéré sur le Nomad une substance nommé PyrE, enjeu de la guerre entre la Terre et ses anciennes colonies. Foyle devient ainsi l’homme le plus recherché du système solaire. A côté de cet hommage, notre auteur aborde d’autres thèmes plus caractéristiques du genre.

 

Où l’homme dépasse l’homme

 

Après la télépathie, abordée dans L’homme démoli - et reprise ici également -, Bester s’attaque à une faculté extrasensorielle : les hommes peuvent « fugguer », c'est-à-dire se téléporter par la force de leur volonté. Avec une seule limite : la « fuggue » est impossible dans l’espace. C’est la raison pour laquelle Foyle est resté prisonnier du Nomad. Sauf que c’est faux : Foyle va apprendre qu’il a été l’objet d’une expérience de la part de scientifiques des colonies extérieures. Tout au long du roman, il est hanté par des visions de « L’homme ardent », c'est-à-dire lui-même en train de se consumer. Il comprend à la fin de l’histoire qu’il s’agit de lui-même en train de « fugguer » à travers temps et espace : Foyle ou le nouveau stade de l’évolution de l’homme. Sans le savoir, notre auteur préfigure dans ce roman les navigateurs de la guilde dans le Dune de Frank Herbert, capable de « plier » l’espace. Ce thème avait bien sûr été abordé mais le final de Terminus les étoiles, par sa sophistication stylistique et ses fulgurances, place clairement Bester en précurseur des réflexions de l’auteur de Dune.

 

Parallèlement, ce livre raconte aussi la transformation d’un homme : homme peu instruit, issu des bas fonds de la Terre, Foyle apprend, grandit - on le voit à sa manière de s’exprimer - et comprend aussi progressivement l’inanité de sa vengeance. On peut rapprocher son itinéraire de celui de son homonyme chez Jonathan Swift. De plus, au progrès physique correspond un progrès humain et le mélange des deux fonctionne grâce à une écriture dynamique et sophistiquée : Bester, plein de références littéraires, utilise même des calligrammes Appolinariens ! Il cisèle des dialogues nerveux et incisifs, qualité déjà présente dans L’Homme démoli, et impose des personnages bien campés, même si parfois trop stéréotypés.

 

Terminus final

 

Ceci est le deuxième roman de Bester. Après L’Homme démoli, qui bénéficia du 1er prix Hugo en 1953, Terminus les étoiles confirme le talent de l’auteur. Contre toute attente, il va s’enfermer dans le silence, ne livrant que de rares nouvelles et préférant se consacrer à de plus juteuses fonctions éditoriales, ne revenant au roman que dans les années 70 pour le décevant Les Clowns de l’Eden (1). Mais l’influence de Bester perdurera : tous les auteurs des années 60 se réclameront de lui, de Silverberg à Spinrad, d’Ellison à Niven, voire Frank Herbert. Le relire aujourd’hui, malgré la patine du temps, est toujours un plaisir. Déclarons-le : fans de SF, nous sommes tous les enfants d’Alfred Bester.

 

Sylvain Bonnet


 

Alfred Bester, Terminus les étoiles, traduit de l’anglais (US) par Patrick Marcel, Gallimard, "Folio SF", janvier 2012, 357 pages, 7,50 €


(1) Un quatrième roman, Golem100, n’a jamais été traduit en France : fans de sf demandent un éditeur.

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