En toute innocence avec Pascal Quignard et "La barque silencieuse"

Pascal Quignard a entrepris son Grand Œuvre en 2002 : Les Ombres errantes reçoit le Goncourt et lance l’aventure du Dernier royaume dont voici le sixième opus. C’est encore une fois un livre magnifique, un ouvrage étonnant qui n’est pas un roman à proprement parlé ni un essai même si l’érudition est au rendez-vous. On pourrait évoquer l’idée de florilège des meilleurs instantanés du monde depuis l’origine des temps jusqu’à nos jours... Une plongée à partir des souvenirs personnels de l’auteur jusqu’aux plus grands noms de la littérature... Une déclaration d’amour à l’universalité, aux hommes libres qui ont osé faire le pari de l’exil (total ou partiel, intellectuel ou sociétal) pour mener à bien leur mission. Un joyeux bazar qui se lit par petites touches, se déguste sans retenue car c’est ici que tout se joue. On se rappelle au bon souvenir de ce qui fut. Des pensées d’antan peuvent découler les solutions qui nous manquent aujourd’hui. 


Notamment dans cette place à trouver dans nos villes modernes. Une liberté qui est devenu un mot galvaudé, une idée méprisée dont Quignard nous rappelle sa racine grecque eleutheria qui renvoie à Platon. N’a-t-il pas écrit dans le Théétète 173 a, "est libre ce qui suit sa propre loi" ? Nous avons donc pleinement la liberté de choisir. Et aussi de refuser le monde marchand que certains veulent nous imposer avec le concept de la consommation à outrance...


Avec Quignard, l’on (re)découvre, aussi, grâce à Benedikt Spinoza, que l’on a le droit d’être différent ; n’a-t-il pas dit que "l’homme n’est heureux que dans la solitude, où il n’obéit plus qu’à lui-même" ? La propension à être seul peut être le but d’une vie. Que l’on appréhende d’ailleurs effectivement seul dès le franchissement du tunnel et le premier cri, et que l’on clôt, seul aussi, dans cette mort quand l’on est happé par le siphon de lumière blanche... 
Au fond de nous-mêmes nous savons très bien que c’est la solitude qui précède la naissance, ce rien d’où l’on vient, on le vit bien seul, en effet....
Mais vouloir s’extraire du troupeau comporte des risques comme nous l’avait bien précisé Roland Barthes : "La seule chose qu’un pouvoir ne tolère jamais c’est la contestation par le retrait. Cela ne peut se vivre que par des conduites clandestines. Par des tricheries. On peut affronter un pouvoir en l’attaquant. Le retrait est beaucoup moins assimilable par une société."


Suivez le guide, plongez-vous dans ces pages délicieuses, suaves et pimentées à la fois, et faîtes-vous votre propre opinion ; choisissez selon vos goûts - et non ceux des autres, profitez, savourez, vous tenez-là un bien étrange ouvrage qu’il ne faut pas laisser filer. Pour votre seul plaisir.


François Xavier


Pascal Quignard, La Barque silencieuse, Gallimard, "folio" 5262, juin 2011, 256 pages, 6,20 €

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