Les amours impossibles au temps du Maréchal, "Monsieur le Commandant" de Romain Slocombe

Initialement publié dans la collection "Les Affranchis" (éditions Nil) qui propose à des écrivains de rédiger "la lettre qu'ils n'ont jamais écrite", Romain Slocombe, après de nombreuses lectures préparatoires, propose avec Monsieur Le Commandant une longue lettre de dénonciation, comme il y en eu malheureusement tant pendant l'Occupation. Adressée au Sturmbannführer avec lequel l'auteur était très lié, cette lettre est improbable : refusant l'anonymat, elle vient dénoncer de front, comme pour engager un combat entre l'acte immonde et sa portée, car il s'agit plus de se libérer que de faire enfermer. Cette lettre de dénonciation est une douloureuse déclaration d'amour, d'un amour doublement impossible. Impossible d'abord parce que Paul-Jean Husson, académicien, écrivain important, est pétainiste et antisémite convaincu, et que la belle est juive. Impossible, ensuite, ou d'abord, parce que la belle est l'épouse de son fils, qui a préféré la confier à son père notable, héros de la Première Guerre Mondiale, pour la protéger pendant qu'il se réfugiait à Londres. 

Comment résoudre le hiatus entre ses convictions politiques et humaines si fortement ancrées dans sa vision  du monde, et ses sentiments qui le poussent vers celle que tout devrait lui enjoindre de ne pas convoiter, qui concentre les interdits absolus ? 

Cette longue plongée dans l'abjection quotidienne, dans les souffrances et les égarements d'autant plus effroyables qu'ils sont l'irrésistible chute d'un homme cultivé, est tenue magistralement par Romain Slocombe qui a réussi l'immersion totale dans la peau de ce vieux notable aigri mais aussi bousculé dans ses propres convictions par l'amour qu'il se découvre. Ce n'est pas une charge contre les lâches, ce n'est pas un roman sur la guerre et l'exode, qui fait le décor très réaliste de cette folie. C'est le très beau et très douloureux roman d'un homme qui perd pied avec son réel, forgé de longue date sur de solides convictions, et qui vient à se réduire à néant en souffrant l'amour interdit.


Loïc Di Stefano

Romain Slocombe, Monsieur Le Commandant, Pocket, juin 2013, 233 pages, 6,70 euros
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