De la parole au mot : les divers niveaux d’émotion de Laura Vazquez

Jeune créatrice installée à Marseille Laura Vazquez pratique la lecture performance et la poésie action. Elle s’intéresse aussi à la création textuelle et plastique numériques qui permet l’invention d’un tissu intersémiotique où la fusion du fond et de la forme est portée à la limite du sens. Sous cette influence l’auteure pratique une poésie où se combine à partir d’un même énoncé de départ des dérivations, des redondances d’une forme de ciné-gramme littéraire :
  

« À chaque fois qu’il commence à commencer,
À chaque fois qu’il commence,
À chaque fois qu’il s’endort sans s’en rendre compte,
qu’il avale sans s’en rendre compte,
qu’il mange sans s’en rendre compte,
qu’il mâche sans s’en rendre compte,
qu’il marche sans s’en rendre compte,
qu’il boit sans s’en rendre compte,
qu’il digère sans s’en rendre compte,
qu’il respire sans s’en rendre compte,
qu’il oublie sans s’en rendre compte,
qu’il pisse sans s’en rendre compte,
qu’il rêve sans s’en rendre compte, »…


Par cet agencement récitatif l’acte poétique prend une sensualité, un érotisme. Le plaisir du texte  en un effet « programmatique » formel et sonore, sémantique et métaphorique crée un lyrisme que les séances de lectures publiques de la créatrice accentuent. L’effet de littéralité trouve là une dimension nouvelle où sont encore plus compréhensibles les sentiments du texte.  « A chaque fois » rapproche la poétesse de celles et ceux qui l’écoutent. Touchés par ce  texte sorti de sa page elles et ils le feront rentrer pour le lire et  lui donner leur propre rythme. D’autant que publié  en une édition de qualité extrême il est soudain redimensionné loin d’une pure donnée et selon un filage qui donne à l’inventaire une dynamique d’inscription. Elle tient d’une enquête poétique tramée par une espionne qui n’a rien de dormante…

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Laura Vazquez, « A chaque fois », Editions Derrière la salle de bains, Rouen, 10 €

Sur le même thème

3 commentaires

« Plume poil palme piaillent pagaïe oublié
le boulet de l’espèce à la vitesse où déboule
venue les dép-ouille-aïe-er du moule
la pouhésie qui tourneboule poule & poule »
 

 

 

NOTES SUR LE CONCEPT DE MATÉRIALISME LANGAGIER
 

 

 

1.prolégomènes :

1.1 j'emploie les mots signifiant et signifié dans un sens large :

1.2 signifiant = le signe + le son, à l'intérieur d'une certaine communauté linguistique.

1.3 signifié = le substrat conceptuel de base à peu prêt commun à tous dans une communauté + la résonance et les connotations propres à chacun suivant sa culture, son imagination, sa sensibilité.

 

 

2. développement :

2.1. le matérialisme métaphysique affirme le primat de la matière sur l'esprit.

2.2. le matérialisme dialectique, ou matérialisme historique affirme que les constructions intellectuelles et culturelles sont la résultante, ou superstructure, des formes de productions industrielles (techno structure, ressources naturelles)

2.3. le matérialisme langagier affirme le primat du signifiant sur le signifié.

2.4. les raisons de cette affirmations tiennent essentiellement à une solidité, une matérialité objectale, public et valable pour tous du signifiant, par opposition au caractère non délimité, flou, privé, individuel et subjectif du signifié.

2.5. l'idée que le signifiant ne puisse être qu'un outil chargé de désigner une vérité qui ne soit pas exactement la même pour tous est précisément ce que combat le matérialisme langagier, dans lequel un mot doit renvoyer à la même chose pour tous.

2.6. d'où une volonté de "limiter" le plus possible l'extension du signifié et de favoriser la normalisation du dispositif langagier (signifiant + signifié).


 

 

 

3. conséquences :

3.1 la conséquence du matérialisme langagier est l'appauvrissement extrême du sens des énoncés au profit du signifiant (son+signe). ce dispositif a pour but de frapper l'esprit comme à l'aide de slogans festifs et ludiques et de couper la réflexion qui proviendrait d'une intellection plus profonde du sens.

3.2 on voit donc que le but du matérialisme langagier, bien que provenant d'une idéologie post-marxisante est identique à celui de la nov-langue du capitalisme ultra libéral. dans les deux cas l'objectif est d'aliéner le lecteur-auditeur à la volonté de la puissance émettrice du message.

3.3 cette conjonction de buts des forces post-marxistes dégénérées et du capitalisme ultra libéral est ce que Guy Debord appelait dans son livre "commentaire su la société du spectacle" : le spectaculaire intégré.


 

 

merci de votre attention
denis hamel

Paris, le 20/11/2012

Mon cher Pierre,

Tu me demandes ce que je pense de la poésie française contemporaine et
c’est assez difficile de répondre brièvement : autant vider un océan
avec une petite cuillère. Et puis c’est une question en apparence assez
polémique dans laquelle il est difficile de rester neutre et de ne pas
prendre parti. Je te dirais que le poète français contemporain doit faire face à deux
périls : d’une part l’État, d’autre part le Marché. La pseudo-poésie
actuellement mis en valeur par les médias de masse et institutionnels
est donc de deux types : pseudo-poésie de Marché et pseudo-poésie
d’État.

 

La pseudo-poésie de Marché s’adresse au grand public. On la
trouve dans les best-sellers, les films à grand spectacle, les jeux
vidéos, les ouvrages de développement personnel et d’ésotérisme, la
chansonnette de hit-parade, la publicité. Son but est de procurer un
divertissement, une évasion de la routine du réel qui soit accessible à
tous pour un coût modique et se perpétue en pseudo-besoins. : magie ;
effets spéciaux ; prestidigitation ; rêve en promotion ; pseudo-beauté
kitsch ; industrie du divertissement ; consumérisme ; produits dérivés

 

La pseudo-poésie d’État s’adresse à un public plus restreint et
élitaire. Financée et mise en place par l’État, son but est de procurer
un sentiment d’appartenance à une caste privilégiée, présumée dotée
d’une compréhension plus exacte de la réalité et motivée par un désir de
pseudo-révolte. On peut donc la comparer à ce qu’Althusser appelait :
Appareil Idéologique d’État. : réalisme socialiste des années 40 ;
gloire du Prolétariat ; dégénérescence du marxisme en folklore pour
bobos branchés ;  carnavalesque festif pour homo-festivus …

 

L’erreur serait de considérer
que ces deux types de poésie sont antagonistes et cherchent mutuellement
à se détruire, car tel les marionnettes de Guignol et Gnafron dans les
théâtres pour enfants, les deux tendances se complètent mutuellement et
trouvent leur raison d’être dans la continuation d’un spectacle de
domination et de désinformation qui ne pourrait pas fonctionner sans les
deux protagonistes. C’est ce que Debord appelait : Spectaculaire
Intégré

 

Difficile donc, quand on prétend aimer la poésie à notre
époque, de ne pas tomber dans les pièges du consumérisme

d’une part, de la pseudo révolte institutionnelle d’État d’autre part. Je crois qu’internet pourrait ouvrir des perspectives intéressantes et permettre au poète de faire connaître son travail à une
échelle modeste, tout en gardant son indépendance. Voilà, Pierre,
excuse moi pour ces quelques notes un peu brouillonnes jetées à la va
vite : cela demanderait à être argumenté et étayé d’exemples, mais je
laisse à chacun le soin de relier ces remarques à son expérience de la
présence de la poésie dans la société actuelle.

Amicalement

dh

  Notes sur les notions de poésie et révolution

Ce n’est pas la poésie qui doit être au service de la révolution, mais au contraire la révolution qui doit être au service de la poésie.

Ce que l’on est en droit d’attendre de la poésie, c’est qu’elle nous apporte de la beauté, à savoir : premièrement, une consolation ; deuxièmement, un espoir.

Certains verront dans la beauté un nouvel avatar de l’opium du peuple, une translation de la religion déclinante adaptée au goût du jour. Ce n’est pas totalement faux, mais sans beauté, c’est à dire sans consolation ni espoir, aucun progrès esthétique ou moral n‘est possible.

Tant que l’on ne prendra pas en compte la pluralité consubstantielle à la notion de poésie, toutes les discussions tendant à légiférer dans l’abstrait sur ce qu’elle doit ou ne doit pas être n’aboutiront qu’à la satisfaction de quelques égos et au versement de quelques subventions, à savoir, sur le plan artistique, au néant.

Ce n’est pas le lyrisme, fût-il critique, ou l’anti-lyrisme en qui réside l’avenir de la poésie, mais la conflagration de ces deux modes d’expression, le champ de bataille qui en résulte avec pour horizon inatteignable une impossible Aufhebung, un au-delà de la poésie.

La seule véritable révolution est celle que chacun opère sur soi-même.

La volonté d’échapper à toute forme d’influence (volonté d’autonomie totale) est à la fois une illusion sans issue et une (la seule ?) motivation forte pour écrire de la poésie. Pour paraphraser Sartre, la poésie est une passion vaine.

La soi-disant « poésie publique », surnommée récemment « vroum vroum » par Roubaud, n’est que la manifestation de l’annexion du vocable « poésie » par les forces institutionnelles du divertissement spectaculaire.

La poésie est individuelle, aristocratique et privée. Elle ne saurait avoir une portée autre qu’individuelle sans se déliter en spectacle de propagande publicitaire destinée à une micro élite ultra favorisée socialement et culturellement, et ne pouvant rivaliser efficacement avec l’industrie du divertissement de masse.

La façon dont nous décrivons le monde montre notre façon d’interpréter le monde. Notre façon d’interpréter le monde détermine notre façon d’y participer. Comment nous participons au monde le transforme.

Paris, le 4 mars 2011