Michel Dugué/Tous les fils dénoués

Le guetteur


Michel Dugué porte bien son nom : ce poète est en effet un guetteur, non pas à l’affût des lointains inaccessibles, mais du proche, de l’immédiat. Il cherche dans la présence du monde qui l’entoure la preuve de sa propre présence. Comme il le dit si bien, dans le livre qu’il vient de publier aux éditions Folle Avoine, « Tous les fils dénoués » : « Rien de ce qu’alors mon regard perçut n’échappait à l’entêtement d’être là ». Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’il cite en exergue Pierre Reverdy avec lequel il entretient, dans la façon de ressentir et de dire, une complicité poétique. Il aime à se laisser surprendre par les choses familières, cette part inconnue en elles qui affleure mais que, dans le ressassement quotidien, l’on finit par ne plus voir. Le « connu » n’est-il pas notre étranger le plus intime ? C’est donc du territoire où il vit, au rythme des jours, des nuits et des saisons, qu’émerge l’écriture de Michel Dugué, au plus près des choses qu’elle éclaire d’une lumière légère. Comme dans la peinture chinoise, l’homme appartient au paysage ; il pèse à peine. Pas de surenchère. La langue du monde se révèle ainsi par fragments, dispersée, comme « une légende improbable dont nous avons depuis longtemps désappris les mots », dont nous avons perdu les clefs. Dire, puis s’effacer, voir à travers les failles du réel et de l’écriture, telle est la poésie de Michel Dugué. Le lire, c’est fraterniser avec la pluie, les oiseaux, le vent, la table, les arbres, la nuit ou tout simplement le silence et l’attente. Écoutons-le :

« De l’attente le jour ne dit rien, ne la dévoile pas. Elle est là cependant comme le manche de la cognée fermement tenu dans nos mains. On avance au fil des heures, bûcheronne avec la ferveur qui met de la clarté dans le sombre. On croît dans le moment où cette attente nous apparaît vaine. Notre progression est réelle. Le corps en est complice. Et si le ciel penche un peu sous le poids d’un oiseau qui plonge, il demeure amical sans que survienne la crainte d’un abaissement imposant la fermeture, noyant les lignes que nous avions tracées.

 « Mais déjà les mots font défaut, impriment une allure de défaite. Il convient de redoubler d’effort – d’accorder sa confiance aux arbres qui sans complaisance se projettent dans l’air, assurés d’eux-mêmes et du sol dont ils s’éloignent tout en le serrant dans leurs ramures –, pour reprendre, s’il se peut, l’outil avec un acharnement décuplé. Ne pas se retourner, garder l’œil fixé sur une écuelle de lumière que lapent des ronces noires, y parvenir avant qu’il ne reste rien sinon un émail écaillé. »

 

                                                                       Alain Roussel

 

 

 

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