Tenir la musique dans la main du poème.

Dans une courte note en fin d’ouvrage, Michèle Finck résume les circonstances qui furent à l’origine de son projet. « Ce livre, composé d'une suite de cent poèmes d’extase musicale, a été écrit dans le noir et la pénombre, après une opération de la cataracte. » Quelle belle et gracieuse manière d’utiliser cette cécité passagère pour ouvrir encore et approfondir l’écoute ! N’est-ce pas la musique qui nous y oblige quand nous fermons les yeux pour mieux l’entendre ? L’oreille, alors, peut voir. « La rétine des sons s’ouvre ».

En tête de chaque poème, figure le nom du compositeur, le titre de l’oeuvre et le nom des interprètes. L’ensemble forme une liste de pièces (de Monteverdi à Michaël Levinas), de promesses musicales. Un programme d’écoute. On imagine le soin avec lequel Michel Finck l’a préparé. Et le projet d’écriture est tenu de part en part. « Une suite de cent poèmes d’extase musicale ». La privation d’un sens multiplie les synesthésies. Les sons se mêlent aux rayons, et même aux parfums.

Inventer des poèmes qui soient vitraux

Sonores dans la lumière de l’obscur

                                     .....

Est-ce la rosée du sacré qui parfume les sons ? 

Quelque chose dans la voix s’agenouille. Douleur et joie, violence et douceur, angoisse et grâce s’étreignent et s’enlacent.

Silence aussi profond que douleur.

.....

Silence aussi profond que joie. 

Ces plongées successives au coeur de la musique sont aussi une suite de célébrations. Celles des noces incessantes entre le son, la lumière et le silence.

Au point de suture

Entre son et silence

Entre feu et neige. 

 ........

Osmose du son et du silence jusqu’à la brûlure.

.........

La musique : torche de silence en haute mer. 

.....

Air de Didon étirée jusqu’à la moelle

Silencieuse des sons. Musique montée au bûcher. 

                                    .....

Flamme le silence brûlant jusqu’à l’os. 

                                    .....

À son timbre bas de mezzo-soprano qui allume

Une bougie clair-obscur dans l’orphelinat des nuits. 

Comme les variations d’un thème musical, les alliances successives entre les termes explorent et développent les ressources du propos qui donnent lieu à des accents surprenants et à de magnifiques trouvailles. La musique souffle le chaud et le froid.

Sur la lame du silence un peu de sang et de neige. 

.....

 À la voix de neige. À sa fonte claire. Au silence.

.....

De la musique. Aux sons qui font silence et neigent. 

.....

Stalactite ou stalagmite le silence ? 

N’est-ce pas la musique qui nous oblige à inventer une main pour mieux la toucher ? Tous les poèmes de La Troisième Main ont cinq vers comme les cinq sens ou les cinq doigts de la main. Des mains humaines sur les cordes, les vents ou les claviers et celle invisible et brûlante de la voix. Tenir la musique dans la main du poème. Et dans celle-ci, peut-être, la clé de l’énigme et du silence.

Jacques Goorma

Michèle Finck

La Troisième Main

Arfuyen, 2015

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