Chronique poésie. Jacques Viallebesset : Lire et relire Luc Bérimont


Que la poésie vous garde, La chronique de Jacques Viallebesset |

 

Le centenaire de sa naissance ramène dans l’actualité de cet automne Luc Bérimont dont les éditions Bruno Doucey éditent une anthologie et les éditions Le Castor astral rééditent les souvenirs de son enfance Le Bois Castiau.

 

René-Guy Cadou, que Bérimont admirait a écrit : « Il y a quelque chose qui fait que l’on a trop tôt quitté l’enfance et que l’on recherche tout au long de sa vie. » Toute l’œuvre de Bérimont, tant romanesque que poétique (distinction assez artificielle tant ses romans ont une puissante charge poétique) est imprégnée de cette mémoire d’une enfance renouvelée tout au long de sa vie ; non pas, donc, une enfance entendue comme une période de la vie, mais comme un état de l’être, fait d’étonnement et d’émerveillement, toujours renouvelé en soi. C’est sans doute cette similitude qui fait que Cadou et Bérimont s’étaient reconnus au point qu’il est difficile de ne pas associer son nom à celui à celui de « l’École de Rochefort », bande d’amis réunis autour de René-Guy Cadou, au sortir de la guerre, plus qu’à proprement parler une « école » poétique défendant une « certaine idée » de la poésie.

 

Ce n’est sans doute pas de ce côté-là qu’il faut chercher les influences qu’aurait subies l’écriture de Bérimont. Plus sûrement, c’est du côté des Ardennes de l’enfance et de l’adolescence qu’il convient de se tourner. Les Ardennes d’André Dhotel, l’auteur un peu oublié du Pays où l’on n’arrive jamais, celui qui a écrit : « Le merveilleux est chose sérieuse ici-bas, à condition qu’il reste branché sur le réel. »

 

Voilà définie la poésie de Bérimont, un merveilleux branché sur le réel ; un merveilleux mis en musique par le pouvoir sensuel et charnel des mots. Lire un poème de Bérimont, c’est déguster lentement un vin généreux, capiteux, velouté, dont les mots coulent en bouche :

 

Mon amour du profond des nuits

Du fond de la terre et des arbres

Du fond des vagues, de l’oubli

Mon amour des soifs de l’enfance

Mon amour de désespérance

Je t’attends aux grilles des routes

Aux croisées du vent, du sommeil…

 

Il y a des mots clés qui balisent les poèmes de Bérimont ; ce sont les mots « vin », « pain », « femme », « nuit », « arbre », « neige », « feu ». Son écriture n’est pas le fruit d’une réflexion systémique sur l’écriture, elle reste, avant tout, du sang, des battements, de la chair.

C’est un autre ardennais, Hubert Juin, qui a écrit : « À défaut d’écrire avec son sang, peut-être écrire avec la sève des arbres. » L’encre de Bérimont est de sève et de sang, et spontanément, à le lire, on pense à ce vers de Baudelaire : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »

 

Octobre avait ce goût quand reprenait le feu :

Une odeur de châtaigne et de laine tiédie  

 

Nous voilà loin, aux antipodes mêmes, de certaines tendances intellectualisantes de la poésie contemporaine. Mais, après quelques décennies de « pas de coté » dans le labyrinthe du langage, n’est-il pas temps de retrouver une poésie qui coule de source et qui tente, humblement, de dire, de manière singulière la beauté et le mystère du monde et de la vie.

 

Que la poésie vous garde…

 

Jacques Villebesset

 

Luc Bérimont, Le Sang des hommes, Poèmes 1940-1983, préface Marie-Hélène Fraïssé, postface de Jean-Pierre Siméon, Éditions Bruno Doucey, mars 2015, 160 pages, 15,50 €

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