Le plein emploi de Jean-Claude Pirotte

Poète à mi-temps et peintre des autres jours, Jean-Claude Pirotte s’était réfugié, ses dernières années, dans le Plein emploi de l’écriture poétique. Sentant planer l’oiseau de mort, il écrivait des centaines de poèmes en recueils, pour le plaisir, loin  du souci de publier. Il y avait urgence de toiser la Camarde et de l’affronter d’un trait de plume ininterrompu pour se sentir vivant. Ce nouveau recueil est une malle ouverte avec le testament du poète décédé en mai 2014. On y trouve les traces de ce combat quotidien avec le temps qui ronge, qui efface tout sauf la mémoire : je fais des vers comme un cadavre en transe, écrit Pirotte, humoriste façon Jules Laforgue. Dormant peu, écrivant beaucoup, il noircissait les pages au cours de ses nuits blanches : c’est la mort qui cultive / l’insomnie productive, confie-t-il. Quand il n’y a plus guère d’espoir, il reste la nostalgie, la petite sœur de toujours. Dans Plein emploi, on retrouve le chemin et les ombres d’autrefois, les images d’enfance souvent teintées d’une fantaisie empruntée à Jean Follain – auquel il rend ici l’hommage d’un lecteur fervent. La tégénaire et l’épeire tissent des toiles où se prennent les images d’une jeunesse ancestrale. En ce « très vieux-temps », le poète était persuadé que l’éternité c’est le poème. Il l’écrivait d’ailleurs, assuré qu’il suffisait d’écrire pour figer le temps. Ici, plus question de se projeter : l’enfant ne veut pas croire / que la vie c’est la journée. 

 

Pirotte, à mesure qu’il revisite les trésors de sa vie, relisant les poètes – ici Jacques Baron, Henri Thomas, Pierre Morhange, l’indispensable auteur de La vie est unique – et tant d’autres entre les lignes, semble attribuer à la poésie une autre fonction : donner vie à tout ce qui n’est pas. Parmi les jours ordinaires, les vers agencés comme on danse s’apparentent à d’innocentes comptines où les écoliers jouent au ballon, où une jeune fille en jupons se cabre à la fenêtre tandis qu’une éphémère vole / près de la cheminée alors qu’une vache apeurée glisse sur le talus. Pirotte mêle les souvenirs aux images projetées par sa lanterne magique qui renouvelle le monde, un lavis / que l’évidence outrage. Le poète sait qu’il est tour à tour le jeune homme en cavale et le voyageur au bout de son rouleau. L’évasion souvent, la prison quelquefois : mais le carnet me menotte / et me tient ici captif / de moi-même en quelque sorte.

 

Pirotte confie, amusé, qu’il n’est pas moderne, manière de dire que les instruments qu’il emploie ne sont pas nouveaux – hors du temps ? Son inspiration, elle, n’a pas d’âge. Nous sommes tous embarqués sur le fleuve noir, qu’il faudra, un jour,  traverser. Grâce à Pirotte, on découvre le temps qui n’a plus de prise sur les mots. Ce qui n’est pas si mal, ici-bas. En entier, avant de partir, ce poème inspiré d’André Dhôtel, maître des fééries :

 

avoir vraiment peu de moyens

et pas d’idées du tout

c’est la gloire à l’infini

on entend les pins sylvestres

murmurer des mots épars

et par les soirs la chevêche

chuchoter avec la lune

on ne comprend rien mais c’est beau

d’être égaré jusqu’à la fin

 

Frédéric Chef

Jean-Claude Pirotte, Plein emploi, Le Castor Astral, mai 2016, 176 pages, 15 €

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