Le patient de Jérôme Bertin : la poésie en prose.

Comme moi, vous saturez de cette énième rentrée littéraire ? Une fois encore, vous constatez son lot d’immondices (Angot) ? Ou de navets pour décérébrés qui pensent savoir lire (Zeller) ? Le tout encensé par des nervis corrompus. Alors l’envie soudaine vous prend de recouvrer un peu de légèreté et de fraîcheur. Je vous comprends. Il vous faudra vous tourner vers les petites maisons. Comme toujours. Ni Minuit ni P.O.L cette fois-ci mais al dante. Un éditeur marseillais qui ose construire un catalogue qui ait du sens. Ce que les maisons parisiennes semblent ignorer tant l’appât du gain contribue à prendre les lecteurs pour des couillons ! Donc, amoureux des mots, des histoires folles dingues et autres rabelaiseries, ouvrez vite ce livre écrit par le petit frère d’Eric Chevillard. Il vous entraînera sur les pas d’un doux dingue qui a un peu forcé sur le Témesta. Aussi se voit-il contraint de rejoindre le service psychiatrique de l’hôpital le plus proche avant de faire une crise de démence. Sa douce Cécile l’accompagne. Après une traversée de l’enfer métropolitain, l’asile se matérialise : murs gris d’une rare laideur que même à la veille de trépasser l’on ne pourrait accepter d’y entrer. Cette cage aux fous « sent le zyklon à plein nez ! Avec Sarko, y’aurait rien d’étonnant. » On sait la grande estime que les politiques de tous bords ont pour ce type d’établissement…


L’accueil est à la mesure de la manière dont sont traités les malades en France. Et en règle générale le quidam dans toute administration. Sauf qu’il ne faut pas répondre n’importe comment à quelqu’un qui marche sur le fil. « Ben on vient pour arroser les yuccas avec notre pipi et te passer la tronche au karcher, songe à hurler le patient qui l’est de moins en moins. » Ce sera encore Cécile qui mettra son casque bleu pour ramener à la raison une situation qui se déplie à l’envers d’un décor de caca, de carton pâte en papier mâché. Et toujours le patient qui n’en peut plus de tenter l’impossible. C’est facile de prêcher quand tout va bien. « Aide-toi et Dieu t’enculera. » Comme d’habitude en réalité. Car fou ou pas, ne sommes-nous pas tous « condamné(s) à mordre » la main qui nous nourrit ?


Après quelques entretiens forts décevants, le patient recouvrera la liberté surveillée. Il rejoindra ses coreligionnaires au troquet. Quoi d’autre à faire que noyer ce qui demeure inviolé dans l’alcool en bulles réfrigérées ? Quoi faire d’autre, sinon rien ? Et puis l’ambiance y est chaleureuse : « chez Bernadette personne ne tient le bar, c’est le bar qui tient tout le monde. » Le patient refait le monde dans sa tête en s’amusant des déboires des clients. « Debout les perdants de la terre, le jour de glaire est arrivé. »


Au troisième étage, « vertige de l’humour » : c’est jour du rendez-vous dans la salle de réunion. Oui, faut de crédits elle fait aussi office de salle d’écoute dans un décor de salle de garde. Tenez, y’a qu’à voir, plutôt entendre ce qui s’y dit. Pensez donc : liberté de penser, justement, voire de dire ce qui, quand on ne pense qu’à dire ce que, mais tout est là, finalement. Dans cette manière de percevoir la folie chez autrui. Surtout qu’ils sont entourés de reproductions miteuses d’œuvres qui n’ont plus d’art du tout, dare-dare fuir se dit le patient quand commencent à s’agiter ses collègues tout aussi cinglés que lui…

Oui, fuir chez Bernadette, sinon, quoi ?


Annabelle Hautecontre


Jérôme Bertin, Le patient, al dante, juin 2012, 60 p. – 12,00 €

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