David Grossman, Le temps infini de l’absence

David Grossamn avait ému ses lecteurs l’an dernier avec son poignant roman Une femme fuyant l’annonce, (Seuil) couronné par le Médicis étranger 2011. Il y contait le drame d’une mère ne voulant pas entendre parler de la mort de son fils soldat. Que le propre fils de Grossman meurt sous l’uniforme israélien à cette même période ajoutait encore à l’émotion dramatique du sujet.

 

L’écrivain revient avec une ode à la paternité de l’enfant mort, un texte bouleversant au souffle coupé, un cri étouffé face à l’absence. Rien de narratif, mais un concentré de paroles impossibles, de têtes qui se cognent au mur du silence, de parents perdus dans le temps inversé de la mort de leur progéniture.

Rien, il n’a rien à dire l’homme – le père – et sa femme douloureuse sont dans le même silence. Mais au bout de cinq longues années d’apnée, voici que les mots se cherchent, éparse sur la ligne, comme un poème, ou plutôt comme un souffle ténu, saccadé :

 

« Nous étions enveloppés

tous trois dans un manteau

d’obscurité,

enroulés à l’intérieur

avec lui, et nous étions muets

comme lui. Trois

fœtus conçus

par la catastrophe. »

 

D’aucuns pourraient s’énerver de cette construction hiératique, d’un passage à la ligne artificiel, d’une page blanche de silence(s). Le procédé restitue pourtant avec force la respiration bloquée, suspendue, des parents endeuillés.

 

L’homme qui veut se mettre en marche pour chercher son fils « là-bas » – mais où peut-il bien être ? – croisent des parents qui communient au deuil commun. Dans les rues blafardes de la ville, un chroniqueur sent et cherche ces ombres meurtries à jamais, le centaure, le cordonnier, la sage-femme… A chacun, un enfant a été ravi. Tous errent sans issue sur le front de l’absence. Faut-il se taire ou bien raconter ? Enfouir les souvenirs ou garder la mémoire vive ?

 

« Je continue, je garde

je conserve

Et ressuscite l’enfant

Que tu étais, l’homme

Que tu ne seras pas… »

 

Scribe de la douleur, David Grossman envoûte son lecteur, nous entraîne dans des méandres intérieurs qui marquent à jamais, au fer rouge, les endeuillés. Il n’y a rien à faire, si ce n’est laisser suinter la plaie irréversible, à vif, à vie. En entremêlant les confessions pleurantes des parents, comme s’ils participaient à quelque groupe de parole, l’écrivain rend aux mots leur force de vie, rappelle la sève de la parole, qui ne rend pas le fils, la fille aimés, mais faire naître une lueur, un pâle éclat ; « Depuis le jour où ma fille s’est noyée, je recueille chaque instant de beauté et de grâce à son intention. »

 

De l’air : le deuil étouffant a besoin de reprendre souffle. Souffle de vie, malgré tout, pour les survivants d’un drame inouï, à chaque fois unique et imparable, irréparable.

 

« Il y a

Une respiration il y a

Une respiration dans

La douleur il y a

Une respiration. »

 

Christophe Henning

 

David Grossman, Tombé hors du temps, Le Seuil, octobre 2012, 200 pages, 17,50 €

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1 commentaire

ah mais quelle tristesse vraiment c'est dur, pauvre homme, son fils est mort, et après ? c'est le seul ? n'aurait-il pas dû éviter d'aller faire la guerre ? Prenons le problème à l'envers pour une fois. Quid des Libanais tués sans raison par le tapis de bombes déversés par Israël ? Et pourquoi son fils n'aurait-il pas refuser d'aller se battre pour rien, comme un célèbre soldate, Michel Warschawski, dont le magnifique livre "Sur le frontière", prix RFI, est autrement plus passionannt à lire car il démontre l'endoctrinement israélien auprès de ses concitoyens... Il est tout aussi intéressant de voir la réaction des soldats de Tsahal à leur retour, après la déculottée prise par le Hezbollah. Quand leurs supérieures parlent de "terroriste", les soldats les reprennent à plusieurs reprises : ce ne sont pas des terroristes, mais des soldats. Ainsi, ceux qui sont allés au feu ont du respect pour les soldats libanais quand ils n'en ont plus pour leur officiers, un reportage de France2, à l'époque, montrait cela de manière flagrante... Ce livre est donc à oublier car il participer une fois encore à mettre les pleurnicheurs du côté israélien quand ce sont eux les fautifs... c'est toujours le plus fort qui doit faire la paix et non continuer à maintenir la tête sous l'eau à sa victime...