Paul Badin le mangeur d’espaces

                   

 

Paul Badin, « Entre Syr et Amou Darya », coll. « Lieu », Encres Vives, Colomiers, 2013, 6,10 E.

 

Paul Badin sait qu’entre les divers temps, les divers pays comme entre le chapeau et les souliers, ça pense comme ça peut. Partant de cette certitude le poète  trouve des ouvertures à la maladie de l'écriture et permet à son discours de se poursuivre par monts et pas vaux (euphémisme dans son cas). Dans "Entre Syr et Amou Darya »" la création reste ce qu’elle est toujours pour le poète : le  traitement de cet inassimilable, cet "impossible" (Lacan) qu'est le réel. A travers l’Ouzbékistan Badin pousse plus loin sa création dans son rapport au réel et au temps au moment même où celui-ci échappe à mesure que l’âge avance. Mais l’auteur ne s’en soucie pas : il se laisse happer  par « les cités mosaïques si fières de leur beauté ». Il évoque ce qu’un tel réel fastueux cache et fait surgir et illustre l'"opération" - entendons l'ouverture - que la  langue peut produire : à savoir « du » paysage qui ne se limite en rien à la pure description.

 

Refusant de « n’écrire que sur le pire et déserter le meilleur » le poète se fait solaire. Il y a en lui du Camus de « Noces ». L’image ne se construit plus à partir de failles ou de trous mais de coupoles de  lumière et surtout de la vie des habitants. Du pays « on revient agrandi, blanchi de préjugés » écrit celui qui s’ouvre à l’extase du monde. Hymen et alliance le poème se dégage de toute peur et repli. Il n’y a peut-être pas d’autre urgence pour nos temps de crises. Surgit dans le règne des mots nourris des déserts et des oasis de l’Ouzbékistan une existence physique, une concrétude, une "activité pratique" qui arrache la poésie à ce qui la pétrifie dans barbarie du désordre. La langue devient pierre chaude le chant du laisse au voyageur autour de sa chambre le loisir de partager les émotions du marcheur d’espaces.

 

Jean-Paul Gavard-Perret.

 

 

 

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