Jean-Luc Lavrille le bilatéral

Lavrille a entièrement articulé Remamor autour de l’opposition qui penche en faveur du blanc contre le noir d’où pourtant tout part. A savoir la mort d’une sœur envolée « chez les anges » - expression maternelle afin de contrecarrer l’innommable. A partir de là la langue prend une autre tournure : elle se défait en « clins deuil »  contre le « décès sec ». Manière de tordre le réel, d’en étendre le tissu de manière systématique. Lavrille comme son nom l’indique vrille le langage en multipliant sa portée métaphorique dans un lac des signes : de guenilles verbales ils deviennent des langes faite pour déchanter l’émotion de la perte et afin de bien mettre en évidence une voix éternelle qui viendrait à bout des paroles précaires. S’y perçoivent des  sons grâce à des glissements de sens et ce parce que le poète n’est plus à une voyelle près. La parole admise étant devenue inutile il s’agit de faire entendre une respiration disparue, la provoquer en des variations et suites autour de la « fée ». Si bien que la chanter  revient à jouir en pure extase des sphères et de l’éternité. Les calembredaines supposées deviennent des démarreurs pour recréer au moyen d’une parole  détruite des lettres fictives et affectives. Hors des ses gonds le vocabulaire chatoyant efface la noirceur du réel. Le poème possède un corps parce que celui-là est l’ombre d’une parole elle-même unique lumière, soleil vital. Des possibles s’y manifestent, s’épuisent à poursuivre l’infini. C’est la victoire des cheveux blancs. Ils représentent le symbole de la sagesse du poète et sa rédemption suprême. Drôle, tragique, superbe.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Jean Luc Lavrille, « Remamor », Atelier de l'Agneau éditeur, 2014, 14 €.


 

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.