Christophe Mahy : La flamme du seul ou La tentation d’être au monde

La voix d’un poète est toujours singulière. Elle étonne, elle détonne. Elle ne tonne pas forcément. Loin s’en faut. Christophe Mahy affûte la sienne depuis une dizaine de recueils avec la modestie de l’apprenti qui cherche à modeler ses gestes sur l’établi, tentant d’approcher son sujet avec patience : Ecrire, c’est approcher lentement, écrivait André Dhôtel. Le nouvel opus, le meilleur sans doute, La flamme du seul, est placé sous l’éclairage de Gaston Bachelard, dont le poète a rallumé cette pensée lumineuse qui en tient lieu d’exergue : La flamme est un monde pour l’homme seul. Cette "flamme d’une chandelle" doit conduire le lecteur à travers la nuit courante de nos vies enténébrées.
 
Ces courts poèmes – "en chandelle" – disposés sur la page comme des veilleuses de mots peu nombreux accompagnent leur auteur le long d’un chemin qui va de lui-même à lui-même. Le constat initial de Christophe Mahy est banal, amer devant notre Univers illusoire / montagne fausses / paysages erronés. Aussitôt, un sursaut salvateur se fait jour : ce que je crois / est en moi / seulement / et tout ne commence / qu’où je finis. Le poète doit d’abord se débarrasser des oripeaux du jour commun et faux semblants du monde pour entamer sa quête, se laver de toute nuit : L’absence préside / toute attente / et tout voyage / en pleine flamme / pour que les mots rassemblent / dans la nuit hors saison / un herbier de poèmes. La voix, ténue, essaie de se frayer une voie dans un monde faiblement éclairé, de s’y fondre, de s’y confondre. Par la grâce de la flamme poétique, le poète accepte ce soi devenu habitable dès lors qu’il accepte de déraciner ce moi de moi-même, de s’anéantir, de se dissoudre lentement dans mon être / infini / depuis qu’il n’est plus. Etre au monde, c’est d’abord opérer une consomption lente de toute identité, détruire la singularité – pas de moi / pour dire Je.
 
Pour tenter d’approcher ce monde nouveau, permis par la destruction fataliste et volontaire du moi – à l’extrême orientale –, le poète se paie de mots, il en connaît la vanité et le peu de poids face aux aspérités du monde car mon poème / n’ajoute rien / au monde et aux êtres / mais s’écrit / ici et maintenant. Urgence d’écrire ? Sûrement pas ! Prendre le parti pris de toute chose : je suis tout / je suis toute chose pour devenir un autre lui-même, impalpable, essayant de survivre / à quelque chose / qui le fatigue / mais limité en lui / par lui / et cherchant réponse / à des questions / sans existence.
 
Vivre est un rêve sans fin et sans limites, l’identité d’un poète est floue, incertaine, inachevée. Qu’est-ce que la poésie ? Qu’est-ce qu’écrire ? Que faut-il faire ou ne pas faire pour exister vraiment, pour ne plus exister ? sont les questions que Christophe Mahy tente de poser. Ecrire, c’est sans doute s’effacer, s’alléger, se déposséder, quitte à se livrer à l’élan du feu. Il n’en restera pas moins que tout poète, tout lecteur enfin éclairé de poésie se pose en veilleur solitaire qui renouvelle le monde et lui donne vie. Tout est vanité : le poète, nouvel Ecclésiaste, rêve d’une absence de lui-même, aboutie, puisqu’il écrit sur le sable. Il rêve d’un dépassement de l’écriture elle-même par une poésie sans mots. Se blottir au cœur du monde, accomplir sa présence. Que faire pour y parvenir ? Détruire les mots qui ont permis cette quête et se livrer au silence final : aucun mot sur la page / pensant écrire / je me tais / et ne laisse / aucune empreinte / nulle part.
 
Frédéric Chef

 

Christophe Mahy, La flamme du seul, peintures d’Isabelle Nouwynck, L’herbe qui tremble, septembre 2014, 112 pages, 16 € 

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