Novalis, entre poésie & réel absolu

Partant du postulat, énoncé par Novalis, que la poésie élève chaque individu à la totalité à travers une opération de connexion qui lui est propre, l’on ne peut qu’être saisi d’une petite chair de poule à l’ouverture de ce petit livre qui recèle tant d’explosions cachées qui vont, au fil de notre lecture, fissurer le vernis sociétal et laisser, enfin, apparaître le lustre d’une peau tannée par tant d’inconvenances faites à sa personne. Quel individu, normalement constitué, peut survivre dans notre monde contemporain ? Qui parvient à supporter l’innommable et l’immonde quotidien sans risquer de devenir fou, sauf à verser dans le mièvre de la guimauve servie par des médias encombrants, puisque désormais les vessies sont nos lanternes…

 

Urgence donc à revenir à l’essentiel, à passer à plus sérieux après cette partie d’échecs qui, quelle qu’en soit la tournure et la finalité recherchée, ne finira jamais. Autant baisser la garde, abdiquer et, sans couronne mais avec la foi, se ruer dans la félicité d’une harmonie, même temporelle, même vouée au désastre comme tout ce qui a trait à la Beauté, mais au moins l’on aura vécu, senti, joui d’un réel possible, d’un bonheur imprégné de vérité, ici-bas, malgré le chaos dominant et l’invasion des esprits par la suie nauséeuse des idéaux préfabriqués.

 

Devenir un homme est un art.

 

Novalis, philosophe, scientifique et poète, voulut étudier dans ses fragments toutes les connexions possibles avec comme axe de réflexion la poésie, au centre du dilemme, à part, comme dans une bulle, mais interconnectée avec les autres disciplines afin de tenter de décrypter l’univers. Durant toute son existence, Novalis n’aura de cesse d’écrire ces réflexions, petites phrases qu’il ne considérait pas comme une œuvre mais plutôt un matériau nécessaire à sa réflexion. Riches souvent, hermétiques parfois voire contradictoires, l’intégralité de ses fragments peint l’évolution d’une pensée, non une vérité absolue, ce que ce florilège démontre.

Novalis fera en sorte que l’artiste créateur se trouve en état de générer son propre univers au moyen du langage et des mots qu’il n’utilise plus pour figurer le prétendument réel, mais pour créer de l’intérieur une autre réalité, autonome, affranchie de la loi de causalité et de ses contingences : celle de la poésie absolue. Au diable les contingences extérieures, les obligations morales, les consciences professionnelles ! Ecrire exige une abnégation totale, et pour faire resurgir la poésie absolue, seule capable de révolutionner l’activité littéraire à défaut des esprits lobotomisés devant les écrans plats, Novalis laissera à la postérité Henri d’Ofterdingen.

 

Le véritable poète est omniscient – il est un monde réel en petit.

 

Ces fragments sélectionnés et traduits par Laurent Margantin donnent à voir un Novalis surprenant, parfois mystique, parfois prophète sans être pour autant moralisateur mais poussant fort loin le curseur, voyant les Hommes appelés à la formation de la Terre… Toutefois, la qualité de ses principales saillies littéraires se retrouvent dès lors qu’il recouvre le goût de parler de poésie et de philosophie, les deux acteurs de sa pensée qui se mènent un combat fratricide dans l’illusion de prédominer l’un par rapport à l’autre, alors que leurs destinées sont antinomiques, mais complémentaires, d’une certaine manière : La poésie est l’héroïne de la philosophie. La philosophie élève la poésie au rang de principe. Elle nous enseigne à connaître la valeur de la poésie. La philosophie est la théorie de la poésie. Elle nous montre ce qu’est la poésie, qu’elle est Un et Tout.

 

Pour vivre heureux, alors, vivons avec une once de philosophie et des tonnes de poésie, un goût d’absolu qui me saisit de plus en plus le bras dès lors qu’il s’approche de ma bibliothèque, comme si les romans et autres essais ne pourvoyaient pas autant de chaleur et d’émotion qu’un recueil poétique… Comme le suggérait Jacques Dupin, nous ne dormirons plus. Nous ne cesserons plus de voir. De pourvoir le feu.

 

François Xavier

 

Novalis, Poésie, réel absolu, fragments traduits de l’allemand par Laurent Margantin, avant-propos de Frédéric Brun, Poesis, avril 2015, 80 p. – 14,00 euros

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