Christian Prigent : quand bouge la langue

« Tous les livres que j’ai faits ont vu le jour parce que le matériau qui les constitue s’est fait aspirer par une forme qu’il fallait accomplir » rappelle Christian Prigent. Et son livre devient l’exhumation des morceaux du processus de création de cette forme littéraire musicale au plus haut point - mais qui ne cherche pas pour autant à copier la musique.

« Ça tourne » montre comment la machine s’anime à travers des leitmotivs, des « pans de mur jaune » comme aurait dit Proust… Ils se transforment, se superposent, fuguent en thèmes entrelacés et structures volontairement ouvertes, mouvantes, poreuses, déplaçables à souhait afin d’y faire entrer le biographique, le fantasmagorique, la fable et une méta poétique selon bien des greffons.

Peu à peu le matériau dans la prose est bu, mangé, digéré et dégorgé en rythmes. Dans le poème cela est plus sculptural et plastique. Mais l’objectif est toujours de faire bouger la langue et sa « démocrature ». Et ce vers une expansion.

Le texte permet aussi de comprendre comment l’auteur coupe les vers en se moquent des normes syntaxiques avec comme souci principal la scansion rythmique par déséquilibres longuement mitonnés.

Là où « le vers chute, toujours, sur du vide » en cadence et selon des schémas pré tracés, jaillit la vitalité par torsions tout en désamorçant le pathos et rappeler que la littérature « est fort peu de chose ».

Elle demande néanmoins tout un travail à l’oreille afin qu’elle devienne une « cavatine » au dévers de toutes les vanités et avec une cruauté enjouée et tordue entre le sérieux et la farce loin des représentations pieuses, divertissantes ou prétentieusement idéologisées.

Dans son travail préparatoire Prigent multiplie les trous dans son fromage comme ont su le faire avant lui Joyce, Artaud et Beckett afin d’offrir de l’irrecevable dans une langue reprise et réinventée, pervertie et perturbée par du « pornographique ». Y perdure l’exigence d’un « tout dire » dans le montage des structures narratives ou poétiques.

Jean-Paul Gavard-Perret

Christian Prigent, « Ça tourne », Coll. « Préoccupations » Editions de l’Ollave, Paris, 70 p., 14 €, 2017.

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