Gérard Arseguel : Poésie et existence

Les éditions Tarabuste ont la bonne idée de republier Esthétique de l'abandon et Théorie de l’envol précédé d’un texte plus récent et inédit Autobiographie du bras gauche qui fait immanquablement penser au Bras cassé de Michaux. D’autant que dans ce texte comme les deux autres Gérard Arseguel offre une sorte d’autobiographie - mais bien éloignée de l’autofiction. La vie se dit moins pas anecdotes que traces, motifs, déplacements. L’auteur y fait bien sûr allusion à ce qui bouleverse. A savoir la mort. Mais l’auteur la traite moins comme une fin qu’en tant que suite : celles et ceux que l’on n’aime ne disparaissent pas.

L’ensemble crée - au delà des diverses temps d’écriture – un mille-feuille dans un paysage quotidien où les instants deviennent du «temps à l’état pur » cher à Proust tant il évolue peu et s’enracine. Il est à noter, qu’à l’inverse des deux premiers, le dernier texte est écrit au passé comme pour entériner une fixation. La femme y demeure centrale mais elle n’est pas forcément identifiée sinon comme radiance dans le jeu du proche et du lointain..

Tout est traité par la suggestion mais néanmoins la poésie se refuse à n’être qu’essence. Le langage reste terrestre, à la recherche de ce qui tient de la quotidienneté de l’existence traversée par des surprises mauvaises ou bonnes et parfois anodines. L’auteur n’insiste jamais et évite tout pathos. Ce qui n’empêche pas de ressentir la complexité de l’être dont le poète rameute les morceaux par le travail du rythme, de la scansion fruit de la modernité comme d’un certain classicisme. Ce qui semble passif, figé prend une dimension active par le mouvement qui déplace les lignes. Il n’est pas sans rappeler la « poésie verticale » de Juarroz mais en allant autant vers le bas que vers le haut.

Dans ces trois textes, l’épars et le disjoints comme les instants de silence créent une unité. Il ne faut donc pas se laisser « avoir » par des termes tels que « théorie » ou « méthode ». Ce sont des pièges afin de donner un contre-pied à l’apparente légèreté des propos. Arseguel demeure l’exact opposé des faussaires de la vérité. Il transgresse tous leurs édits de chasteté et fait dilater les sujets inépuisables qui restent les plus simples..

Il rappelle au passage qu’il ne faut pas compter sur les poètes de l’indicible pour révéler l’insondable. Bref il met uniquement en exergue avec humour mais non sans finesse et élégance ce qui permet de passer derrière la surface des apparences. L’adepte du culte des mots plus que de celui des morts rappelle que la vie n'est pas un leurre ou du Shakespeare : elle reste par excellence le lieu de la mutation.

Jean-Paul Gavard-Perret

Gérard Arseguel, Autobiographie du bras gauche, suivi d’Esthétique de l'abandon et de Théorie de l'envol, Editions Tarabuste, coll. “Reprises”, Saint-Benoit-du-Sault,120 pages, 12€, 2017.

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