Patrick de Silva rend un hommage absolu à celle qui est sur le point de marcher "dans les cieux pour aller patauger dans la mer de la tranquillité". Elle aura mérité cette aire de repos même si souvent elle fut farouche. Comment aurait-il peu en être autrement ? Mais nulle acrimonie de la part du fils qui au lieu d’aligner la pompe d’un lyrisme amphigourique remonte l’histoire de celle qui est devenue grand-mère et arrière grand-mère.
Le tout à coup d’anecdotes qui n’ont rien de forcément piquantes mais demeurent toujours significatives.

Le poète dresse un portait général à travers cette figuration du particulier. Allant comme Matisse des "objets au signe" l’auteur trouve l’essentiel : à savoir l’image apparemment simple mais qui ne l’est pas tant elle oblige un travail de mentalisation que seule l’évocation poétique peut inventer.

Il s’agit de compresser les données physiques d’une vie et en proposer une synthèse vivifiante presque ludique en dépit de la douleur d’une existence laborieuse. Si l’on mettait en file indienne toutes les savates de la mère et les kilomètres à pied qui les ont usée cela ferait une route bien droite de la terre à la lune. Dans le magasin des peines et l’épicerie de l’existence Da Silva a donc fait sa cueillette pour en tirer des découpes subtiles et enjouées.

L’épiscope poétique d’un tel récit agrandit les évocations éparses, disjointes selon une construction très éloignée de la trop simple stratégie des hyperréalistes. Il s’agit à l’inverse pour l’auteur de dégager des invariants. La vie se reformule selon un chant dernier et premier, débridé et multiple, mais aussi concentré en un réseau de liaisons actives. Elles entrent dans l’ordre de la mutation pour tenir une compagnie particulière à cette mère modeste mais quasi mythique.
Au moment où la vie est sur le point de passer au pilon, elle acquiert une rédemption.
 

Jean-Paul Gavard-Perret
 

Patrick Da Silva, Les pas d’Odette, Editions Le Tripode, 2018, 64 p. -, 9 euros